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La presse pèse-t-elle ses mots ?

Quand le vocabulaire influence nos représentations

Analyse n°237 de Andréa Deruyver - septembre 2015 Médias et Actions citoyennes


En 2014, le groupe SudPresse a été condamné par le Conseil de Déontologie journalistique (CDJ) 1 en raison du titre d’un de ses articles traitant de l’affaire Wesphael 2 publié en novembre 2013. Les faits concernaient un homme politique belge, Bernard Wesphael, suspect dans l’enquête sur la mort de son épouse. À l’époque, SudPresse avait titré le fait comme étant un assassinat 3 alors que l’enquête en était encore au constat d’une mort aux circonstances inconnues, cette mort pouvant alors être aussi bien le fait d’un suicide que d’un meurtre. Il y avait donc dans ce titre – et uniquement dans le titre, l’article en lui-même ne posant aucun problème déontologique –un manquement à la véracité des faits.

Dans un tout autre registre, la BBC a récemment invité ses employés et sa rédaction à ne pas utiliser le terme "terroriste" trop facilement, lui préférant des termes moins connotés et plus clairs tels que "tireur" ou "assaillant" 4. La chaîne britannique explique cette décision avant tout par une volonté de rester neutre, précise et claire dans son traitement de l’information, et de donner au lectorat toutes les clés de compréhension de l’événement traité, sans parti pris.5

D’un côté, nous faisons face à une presse qui ne craint pas de choisir dans ses titrages des mots lourds, parfois même calomnieux, de l’autre, une presse qui souhaite avant tout rester neutre, quitte à censurer certains termes. Les précautions de la BBC et la sanction de SudPresse seraient-elles liées à une même volonté de préserver la population envers l’influence de la presse ? Si cette emprise existe, à quel point les médias traditionnels et en particulier la presse écrite, nous influencent-ils ?

Précisons que nous entendons ici par presse écrite la presse d’information papier et multimédia traditionnelle généraliste à ne pas confondre avec une presse plus engagée, associative par exemple, laquelle défend plus ouvertement des valeurs particulières, un idéal.

L’objet de cette analyse est de donner quelques pistes de réflexions en lien avec ces questionnements. Parce que les mots sont, aux côtés des photos et des caricatures dans certains journaux bien particuliers, les outils les plus importants de la presse écrite, nous nous pencherons d’abord sur leur poids et leur impact d’un point de vue général pour ensuite s’attarder sur la discipline journalistique en elle-même : ses origines, sa fonction et les mutations qu’elle subit. Enfin, nous conclurons sur des propositions de pistes alternatives et sur les moyens qui permettent de développer un regard critique face aux médias.

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1 Au cours de l’année 2014, 53 plaintes jugées « fondées » ont été traitées par le Conseil de Déontologie journalistique. Cet organe, constitué de journalistes et de rédacteurs en chef, a pour fonction de réguler les plaintes se rapportant aux médias, sachant que ces plaintes concernent, dans la majeure partie des cas, la presse écrite.
2 « Bernard Wesphael : Le «C’est un assassinat !» de Sudpresse devant le Conseil de Déontologie journalistique », Le soir.be, 2013 ; http://www.lesoir.be/365562/article/actualite/fil-info/fil-info-belgique/2013-11-21/bernard-wesphael-c-est-un-assassinat-sudpresse-devant-conseil-deo, consulté le 23 février 2015.
3 « Sa femme ne s’est pas suicidée : c’est un assassinat ». Titre présent en Une des quotidiens SudPresse du 6 novembre 2013.
4 « Pour la BBC, il ne faut pas qualifier de «terroristes» les tueurs de «Charlie Hebdo» », Courrier international – Paris, 27 janvier 2015 ; http://www.courrierinternational.com/article/2015/01/27/pour-la-bbc-il-ne-faut-pas-qualifier-de-terroristes-les-tueurs-de-charliehebdo, consulté le 12 février 2015.
5 Bien que la chaîne BBC explique ce choix éditorial comme une volonté de rester impartiale face aux récents attentats, il est important de noter que cette décision pourrait tout aussi bien faire partie d’une stratégie visant à garder la chaîne implantée sur le plan mondial et ce, également dans certains pays maghrébins. Stratégie marketing ou conscience professionnelle ?


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