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Le virage controversé de Meta : Quand Zuckerberg s'aligne sur l'extrême droite

Billet d'humeur - Axel Winkel - 20 janvier 2025

Publié le


Dans un virage opportuniste et ultra-conservateur, Mark Zuckerberg a décidé de se ranger derrière Trump, Musk et compagnie. Il a commencé par nous parler du bonheur de « l’énergie masculine » (franchement on ne sait toujours pas de quoi il parle) et de la valeur de « l’agressivité » (malheureusement, là on comprend tous un peu mieux).[1] Puis, il a décidé de mettre fin aux programmes de discrimination positive au sein de Facebook.[2]  En clair, c’en est fini des programmes favorisant la diversité dans le recrutement ou la formation. Il rejoint ainsi d’autres entreprises qui en ce début d’année 2025 ont pris la même décision comme Mc Donald, Walmart, Ford, Boeing, Harley-Davidson.[3] Amazon devrait bientôt suivre le pas.[4] Pour information, ces revirements font notamment suite à l’annulation par la Cour suprême américaine de la discrimination positive dans les universités (une conquête de la lutte pour les droits civils).[5] Cette même Cour avait déjà mis fin au droit à l’avortement et nous réserve sûrement d’autres « belles surprises » réactionnaires dans les décennies à venir après avoir été remplie de jeunes juges conservateurs par Trump lors de son premier mandat.

Bref, revenons-en à notre ami Zuckerberg et sa dernière trouvaille : changer les règles communautaires, c’est-à-dire ce qui est et n'est pas autorisé sur Facebook, Instagram, Messenger et Threads. A notre grand effroi, on peut maintenant y lire : « Nous autorisons les allégations de maladie mentale ou d’anormalité lorsqu’elles sont fondées sur le genre ou l’orientation sexuelle ». C’est écrit noir sur blanc. Pour le « découvrir » par vous-mêmes, rendez-vous sur cette page : https://transparency.meta.com/fr-fr/policies/community-standards/hate-speech/

Nous tenons à rappeler à Facebook, Instagram, Messenger et Threads que l’homosexualité et la transidentité ne sont pas une maladie. Nous tenons à rappeler à Facebook, Instagram, Messenger et Threads qu’une loi vient d’être votée en Belgique interdisant les thérapies de conversion, c’est-à-dire des pratiques qui considèrent que les personnes LGBTQIA+ seraient malades et qu’il serait donc nécessaire de les « guérir », les « changer ».

Cette modification sous couvert de la « liberté d’expression » est une insulte à toutes les victimes de ces pratiques moyenâgeuses. Nous le rappelons encore une fois, il n’y a rien à guérir. C’est aussi le message de notre documentaire qui expose les témoignages de personnes victimes de pratiques de conversion sur le territoire belge et que vous pouvez visionner sur Auvio .

Malheureusement, ce n’est pas le seul changement des règles communautaires de Meta. Voici une autre joyeuseté que l’on retrouve dans cette catégorie : « les personnes utilisent parfois un langage sexiste lorsqu’elles évoquent l’accès à des espaces souvent limités par le sexe ou le genre, tels que l’accès aux toilettes, à des écoles spécifiques, à des fonctions militaires, policières ou d’enseignement spécifiques, ainsi qu’à des groupes de santé ou de soutien. D’autres fois, elles appellent à l’exclusion ou utilisent un langage insultant dans le cadre de discussions sur des sujets politiques ou religieux, comme les droits des personnes transgenres, l’immigration ou l’homosexualité. […] Nos politiques ont été élaborées pour permettre ces types de discours »[6]. Ce n’est donc évidemment pas seulement la communauté LGBTQIA+ qui est visée mais aussi les femmes, les migrants, …  C’est en réalité un alignement parfait avec la rhétorique et la politique trumpienne. Le patron de META a d’ailleurs indiqué dans une vidéo « mettre fin à un certain nombre de limites concernant des sujets tels que l'immigration et le genre qui ne sont plus en phase avec le discours dominant »[7]. Bravo Mark, quel courage !

Une note interne destinée à la formation du personnel dans la gestion du contenu « publiable » a fuité. Des commentaires comme « les migrants ne sont pas mieux que du vomi », « les transgenres sont amoraux », « les gays sont des monstres », « je suis un fier raciste » seraient désormais autorisés.[8] L’entreprise s’est donc lancée dans un processus de sélection des contenus haineux publiables. Selon META l’objectif serait de « permettre plus d'expression en levant les restrictions »[9]. Merci, on est ravis. Quel progrès. C’est vrai que les commentaires sexistes, racistes ou LGBTphobes nous manquaient sur les réseaux sociaux.

Mais bon, la profusion de contenus d’extrême droite sur ces plateformes numériques est loin d’être une nouveauté. Cela fait quelques temps déjà que l’on sait que les algorithmes affectionnent particulièrement ce type de contenus.[10] Ils suscitent beaucoup de réactions et « d’émotions » et donc sont plus mis en avant. Une illustration pathétique de cet « univers » des réseaux sociaux est l’IA Tay lancée par Microsoft en 2016. Ce chatbot censé converser avec les jeunes de 18-24 ans a mis moins de 24 heures à devenir complètement raciste et sexiste au contact des internautes.[11] Elle commença à publier des tweets niant l’holocauste et comparant le féminisme à un cancer. L’expérience a tourné court et Microsoft a dû « tuer » son IA nazi. Il est donc loin le mythe des réseaux sociaux comme terre de progrès. Il n’empêche que ces modifications faites par Meta vont un pas plus loin. Ce n’est pas le résultat d’un algorithme « mal » calibré mais une décision concertée et consciente. Vendre ces modifications comme une défense de la liberté d’expression est une arnaque intellectuelle tant l’autorisation explicite et donc la légitimation de ce type de contenu est loin d’être politiquement neutre.

Les retournements de veste de grandes entreprises ou multinationales comme META, Mc Donald, Boeing ou Amazon pourraient aussi n’être vus que sous un angle essentiellement opportuniste. Ils tenteraient de s’accorder les faveurs de Trump notamment, dans le cas des plateformes numériques, en vue de la confrontation prochaine avec l’Union européenne autour du Digital Markets Act et le Digital Services Act (des textes s’attaquant directement aux géants du web comme Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). C’est d’ailleurs ce que Zuckerberg souligne clairement en indiquant : « Nous allons travailler avec le Président Trump pour repousser les gouvernements du monde entier qui s'en prennent aux entreprises américaines et poussent à la censure »[12]. Rappelons à Zuckerberg qu’historiquement ce type d’opportunisme n’est pas sans dangers. De grands industriels allemands tels que Siemens, IG Farben, BMW ou par exemple Oetker (pensez-y quand vous achetez vos délicieuses pizzas) n’avaient pas hésité à collaborer ou à soutenir les nazis parfois par accointances politiques, parfois par pur intérêt[13] (promesse de la fin des syndicats, des grèves, …). Un opportunisme crasseux avec les conséquences que l’on connait.

Les décisions de Zuckerberg ou la croisade de Musk notamment en soutien à l’extrême droite allemande, sont un rappel du pouvoir d’influence que ces personnages ont acquis. Cela questionne la concentration d’autant de richesses dans les mains d’une seule et même personne. Elon Musk disposerait d’un trésor de plus de 400 milliards de dollars.[14] Un chiffre hallucinant équivalent au PIB du Danemark et à deux tiers du PIB de la Belgique. Avec ce pactole et les jouets qu’il s’achète avec, Musk influence les guerres (avec son réseau Starlink[15]) et les élections, en fonction de ses humeurs du jour. Il joue ainsi avec le destin politique de millions de personnes sans aucune autre légitimité que sa seule fortune. Cela nous montre que la répartition des richesses n’est pas qu’une mesure de justice sociale mais aussi un élément indispensable à toute démocratie saine et viable.

Heureusement, chez Citoyenneté & Participation, nous ne sommes pas sur X. Nous nous questionnons beaucoup sur le numérique, ses promesses et ses limites. Nous venons d’ailleurs de produire un cahier sur cette thématique. Peut-être faudrait-il que l’on se retire de Facebook ? C’est vrai que publier un message anti-META sur Facebook peut sembler quelque peu hypocrite.  Ou faut-il rester sur Facebook pour y exprimer un avis contraire dans cette nouvelle « guerre culturelle » que la frange réactionnaire semble gagner ? On ne sait pas encore.

Ce que l’on sait c’est qu’en ce début d’année, nous souhaitons ardemment qu’Elon Musk monte dans son Starship et s’envole coloniser Mars et que Mark Zuckerberg s’échappe dans son Meta-univers où il pourra exprimer toute son « énergie masculine » sans faire de mal à personne, le monde s’en portera d’autant mieux.

Post-scriptum : Mark ! Elon ! S’il vous plait, emmenez Donald avec vous !


[1] « Zuckerberg Tells Joe Rogan Companies Need More ‘Masculine Energy’ », Youtube, Joe Rogan Experience, [en ligne : ] https://www.youtube.com/watch?v=MAw9Tpi4B_U, consulté le 20 janvier 2025

[2] « Meta poursuit son virage politique et met fin à ses programmes pour la diversité », RTBF, 10 janvier 2025, [en ligne : ] https://www.rtbf.be/article/meta-poursuit-son-virage-politique-et-met-fin-a-ses-programmes-pour-la-diversite-11487853, consulté le 20 janvier 2025

[3] C. Murray, « FBI Shutters DEI Office: Here Are The Organizations Ending Diversity Programs », Forbes, 17 janvier 2025, [en ligne : ] https://www.forbes.com/sites/conormurray/2025/01/17/fbi-shutters-dei-office-here-are-the-organizations-ending-diversity-programs-full-list/, consulté le 20 janvier 2025

[4] K. Paul, J. Babu, « Meta, Amazon scale back diversity programs ahead of Trump inauguration », Reuters, 10 janvier 2025, [en ligne : ] https://www.reuters.com/sustainability/society-equity/meta-end-diversity-programs-ahead-trump-inauguration-2025-01-10/, consulté le 20 janvier 2025

[5] L. Cornet, « Revirement historique aux États-Unis : la Cour Suprême invalide la discrimination positive à l’université », RTBF, 30 juin 2023, [en ligne : ] https://www.rtbf.be/article/revirement-historique-aux-etats-unis-la-cour-supreme-invalide-la-discrimination-positive-a-l-universite-11221370, consulté le 20 janvier 2025

[6] Site web Meta, « Hate Speech - Justification de cette politique », [en ligne : ] https://transparency.meta.com/fr-fr/policies/community-standards/hate-speech/, consulté le 20 janvier 2025

[7] Site web Meta, « More Speech and Fewer Mistakes », Video : 1 :53 – 1 :59 [en ligne : ] https://about.fb.com/news/2025/01/meta-more-speech-fewer-mistakes/, consulté le 20 janvier 2025

[8] S. Biddle, « Leaked Meta Rules : Users Are Free to Post “Mexican Immigrants Are Trash!” or “Trans People Are Immoral” », The Intercept, 9 janvier 2025, [en ligne : ] https://theintercept.com/2025/01/09/facebook-instagram-meta-hate-speech-content-moderation/, consulté le 20 janvier 2025

[9] Site web Meta, « More Speech and Fewer Mistakes », [en ligne : ] https://about.fb.com/news/2025/01/meta-more-speech-fewer-mistakes/, consulté le 20 janvier 2025

[10] P. Lecointe, « Aidée par les algorithmes de recommandation, l’extrême droite booste sa visibilité sur les réseaux sociaux », ULB, [en ligne : ]  https://journalisme.ulb.ac.be/les100voix/algorithmes-reseaux-sociaux.html, consulté le 20 janvier 2025

[11] A. Kraft, « Microsoft shuts down AI chatbot after it turned into a Nazi », CBS, 25 mars 2016, [en ligne : ]  https://www.cbsnews.com/news/microsoft-shuts-down-ai-chatbot-after-it-turned-into-racist-nazi/, consulté le 20 janvier 2025

[12] A. Capoot, J. Vanian, « Meta scraps fact-checking, brings back political content in latest Trump-friendly move », CNBC, 7 janvier 2025, [en ligne : ] https://www.cnbc.com/2025/01/07/meta-eliminates-third-party-fact-checking-moves-to-community-notes.html, consulté le 20 janvier 2025

[13] F. Forestier, « Nazi Billionaires » : ces entreprises qui ont tiré profit du Troisième Reich, Nouvel Obs, 10 février 2023, [en ligne : ]  https://www.nouvelobs.com/bibliobs/20230210.OBS69424/nazi-billionaires-ces-entreprises-qui-ont-tire-profit-du-troisieme-reich.html, consulté le 20 janvier 2025

[14] « La fortune d’Elon Musk atteint 400 milliards de dollars, un nouveau record pour l’homme le plus riche du monde », RTBF, [en ligne : ] https://www.rtbf.be/article/la-fortune-d-elon-musk-atteint-400-milliards-de-dollars-un-nouveau-record-pour-l-homme-le-plus-riche-du-monde-11476511, consulté le 20 janvier 2025

[15] « Elon Musk a coupé Starlink pour stopper une attaque ukrainienne », Courrier International, 8 septembre 2023, [en ligne : ] https://courrierinternational.com/article/conflit-elon-musk-a-coupe-starlink-pour-stopper-une-attaque-ukrainienne, consulté le 20 janvier 2025

Photo : Montage. Donald Trump en décembre 2020, et Mark Zuckerberg à Washington, en 2019. ©AFP - Mandel Ngan, Saul Loeb