Analyse n°295 de Thomas Bolmain - avril 2017
Autoriser l’abattage rituel – la production de viande casher ou halal – est-il légitime ? Est-il juste de maintenir par égard pour certaines convictions religieuses la possibilité de mettre à mort des animaux sans qu’ils soient préalablement étourdis ? La question ne laisse aujourd’hui aucun média indifférent. La Flandre a annoncé la semaine dernière l’interdiction de cette pratique à l’horizon de 2019 ; la Wallonie devrait suivre, Bruxelles y réfléchit – ceci en dépit des protestations des communautés juives (religieuse et laïque) et, plus discrètement, musulmane (voir notamment La Libre, 06/04/17).
Comme on a pu le constater ce dimanche 9 avril sur le plateau de la RTBF, le débat met pour l’essentiel en présence les tenants du bien-être animal (par exemple GAIA) et ceux qui, évidemment attentifs à ce problème, le subordonnent cependant à celui de la liberté de culte. L’hypothèse que je vais brièvement défendre est la suivante : posée en ces termes (bien-être animal VS liberté religieuse), la question ouvre sur un faux-débat qui, d’une part, occulte des problèmes plus décisifs et, d’autre part, enveloppe des conséquences politiques navrantes. Plus précisément – je le montrerai ici –, on ne peut en aucun cas admettre le discours de GAIA qui entend proscrire l’abattage rituel au sein des abattoirs industriels au prétexte qu’il y aurait, du point de vue de la souffrance endurée par la bête, "un monde de différence" entre sa mise à mort avec ou sans étourdissement préalable. La vérité est plutôt que, en droit comme dans les faits, le rituel sacrificiel tel qu’il se pratique actuellement ne peut être réellement distingué de l’abattage conventionnel. On peut, à partir de là, poser le débat dans des termes plus intéressants – et plus urgents : ce qui est en fait capital, c’est de s’interroger collectivement sur les conditions d’une possible mise à mort digne des animaux. Le problème central, dans cette perspective, n’est plus celui du bien-être animal : le problème devient celui de l’aliénation et de la souffrance conjointes qu’endurent l’homme et l’animal au sein du système industriel marchand, leur mal-être commun, la mauvaise vie – et parfois la sale mort – qui leur échoit en partage. Le débat ne doit plus opposer les champions de la libération animale et ceux de la liberté de culte. On souhaiterait plutôt qu’il soit confisqué par les éleveurs de plus en plus nombreux qui, critiques du système industriel marchand, sont surtout soucieux de réinventer l’élevage ; de créer les conditions matérielles d’une mise à mort des animaux qui serait sensée au regard de la vie qu’ils ont partagée avec eux.
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Thomas BOLMAIN est docteur en philosophie (ULG).