Analyse n°412 de Karin Dubois - mai 2020
Les liens entre la qualité de la nourriture et le fonctionnement de notre cerveau sont un sujet d’étude sur lequel bon nombre d’équipes scientifiques planchent depuis quelques années. Nous voyons donc affluer de plus en plus d’articles nous mettant en garde contre les effets de ce que l’on nomme communément la malbouffe sur la bonne forme de nos neurones et en particulier, les capacités d’apprentissage des enfants et des ados.
Ainsi, parmi les causes qui mènent l’enfant aux difficultés scolaires, nous pouvons fort probablement pointer une surconsommation de produits que l’on estimait inoffensifs à une époque ; des sodas, des bonbons colorés, des frites… bref des produits que l’on a même insérés dans un système de récompense ; "si tu es sage, tu auras un bonbon", "si tu travailles bien à l’école, je t’emmènerai au fast-food", etc.
Le système de récompense, parlons-en ! Il n’est pas que familial. Il se situe aussi dans une partie du cerveau humain. Ce qui rend les comportements alimentaires sains plus compliqués. Qu’on se le dise une bonne fois pour toutes, n’attendons pas de nos enfants et de nos ados de développer un comportement raisonnable face à la nourriture. Ils n’en sont pas capables. Dans leur cerveau, c’est l’affrontement permanent entre d’un côté le cortex préfrontal qui participe au contrôle du comportement et des pulsions ainsi qu’à la prise de décision mais qui n’est malheureusement pas fini avant l’âge de 20 ans et de l’autre côté le système de récompense 1 qui lui se développe très tôt. Ce combat est complètement inégal. Quand on sait cela, on comprend déjà mieux pourquoi nos enfants ont toutes les peines du monde à se retenir devant un paquet de chips ou de bonbons.
Ils ont un besoin insatiable de récompenses. Leur cerveau grandit et les récepteurs de dopamine (la molécule du plaisir) tournent à plein régime. Ils ont beau savoir que la nourriture grasse et sucrée est néfaste pour leur santé (parce que nous passons du temps à leur répéter), ils craquent tout de même pour un paquet de bonbons ou une mitraillette andalouse avec cola. Car, ce qu’ils ne savent pas, c’est que leur cerveau est modelé par l’expérience. Ce qui signifie que les comportements alimentaires acquis durant l’adolescence risquent de s’imprimer durablement une fois que leur développement sera terminé. Un ado accro à la malbouffe a de fortes probabilités de devenir un adulte accro à la malbouffe. C’est dire à quel point l’adolescence est un moment charnière au niveau alimentaire. Si on n’arrive pas à déprogrammer la malbouffe de leur comportement, non seulement nos ados iront rejoindre le flot des "septante pour cent des adultes de 40 ans qui pourraient avoir un excès de poids ou être obèses d’ici 2040" 2 mais en plus, il est probable de voir leurs performances scolaires diminuer.
Car oui, bien manger n’est pas qu’une question de poids ou de diabète. Avoir accès à une alimentation saine c’est aussi donner aux cerveaux de nos enfants les chances de fonctionner de manière optimale et d’apprendre dans de meilleures conditions.
Les études scientifiques que nous mettrons en évidence dans cette publication convergent vers un même constat : une surconsommation de sucres, de graisses et d’additifs perturbent l’apprentissage des jeunes.
Mais attention ! Nous invitons ici le lecteur à être prudent. L’alimentation n’est pas le seul facteur à prendre en compte quand il s’agit de s’interroger sur les performances scolaires de son enfant. Une multitude de situations doivent être analysées : quel est son contexte familial ? Vit-il au sein d’une famille monoparentale ? Est-il témoin de violences conjugales ? Les parents sont-ils disponibles ? A-t-il d’autres modèles dans la famille ou le voisinage ? Une fratrie ? Quelle est la qualité de ses liens affectifs ? Ces liens peuvent-ils lui apporter de l’estime de soi, de la confiance ? Dans quel cadre de vie évolue-t-il ?
Quelle est la situation financière ? Vit-il à la campagne ? À la ville ? A-t-il accès à des jeux ? Dispose-t-il de sa propre chambre ? Combien de temps passe-t-il devant un écran chaque jour ? Quel type d’enseignement suit-il ? La méthode repose-t-elle sur la performance ? La notation des compétences ? Quel est son bagage génétique ? Etc.
Même si nous ne sommes pas complets sur le sujet, nous percevons bien que c’est une multitude de facteurs qui rentrent en compte et qui ont chacun un rôle dans les dynamiques d’apprentissage de l’enfant et de l’adolescent. L’alimentation fait partie de ces facteurs. Mais même s’il n’est pas seul, il ne faudrait pas le négliger. Il constitue ce que l’on peut appeler un facteur aggravant.
Quels sont les effets de la malbouffe sur l’apprentissage des enfants et des adolescents ? C’est ce que cette publication tente d’appréhender. D’autant que le rapport entre la nourriture et la santé des enfants est abordé fréquemment lors de nos ateliers en éducation permanente et qu’il nous semble opportun de pouvoir dresser un inventaire relativement complet des effets que peuvent ressentir les enfants et les ados après avoir ingurgité du gras et du sucre.
Dans la première partie de cette publication, nous ferons le point sur le fonctionnement de la mémoire et sur les conditions nécessaires à l’apprentissage.
Mais si vous souhaitez aller droit au but et découvrir les effets de la malbouffe sur le cerveau de nos progénitures, vous pouvez commencer votre lecture à partir de la page 8.
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1 Système dopaminergique mésolimbique.
2 A. Reichelt, « Comment la malbouffe façonne le cerveau en développement des ados », The Conversation, 10 janvier 2020, [en ligne :] http://theconversation.com/comment-la-malbouffe-faconne-le-cerveau-en-developpement-des-ados-128819, consulté le 6 avril 2020.
Diplômée en Sciences Politiques, en Sciences du Travail et en Communication, Karin Dubois, coordinatrice du pôle Formation chez Citoyenneté & Participation, est une enthousiaste de la consommation et du développement durables.