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Par Jérôme Vanstalle, formateur et animateur au CPCP. Politologue de formation.
De manière générale, il est incontestable que la vaccination contre le covid-19 a fait l’objet d’une promotion faisant appel à notre solidarité et à notre citoyenneté de manière générale. Pour autant, les autorités publiques de Belgique et d’ailleurs semblent tentées d’accélérer la campagne de vaccination par des mesures incitatives, voire paternalistes. Cette courte analyse s’interroge sur les implications de cette approche, eu égard à la crise sanitaire mais aussi à l’état de la citoyenneté dans nos démocraties.
Pourquoi se vacciner contre le covid-19 ? la réponse est a priori simple à formuler : pour se protéger contre le covid-19. Pas besoin d’aller plus loin : le vaccin permet à notre système immunitaire de lutter plus efficacement contre le coronavirus. Quiconque considère que la certification des vaccins disponibles est fiable ne devrait donc pas rechigner à se faire vacciner gratuitement, à moins de ne pas considérer cette maladie comme dangereuse.
Le coronavirus, à l’instar de la plupart des pathogènes, ne fait pas preuve d’une égale dangerosité à l’égard des êtres humains. C’est quelque chose d’acquis pour la plupart d’entre nous après 16 mois de pandémie et, bien que le risque zéro n’existe pas, il est rationnel de penser qu’une personne en bonne santé n’a pas autant à craindre qu’une personne présentant plusieurs comorbidités, par exemple. Ainsi le vaccin contre le covid-19, si utile soit-il sur le plan individuel, n’aurait probablement pas connu la popularité dont il jouit en étant réduit à un simple "bouclier individuel". D’ailleurs, depuis le lancement de la campagne de vaccination, l’enjeu de celle-ci est présenté autrement. Se vacciner, c’est participer à un projet commun : la constitution d’une immunité collective.
Depuis le mois de mars 2020, l’accent est mis régulièrement sur l’importance de nos actes individuels pour la collectivité dans le cadre de la lutte contre le covid-19. Qu’il s’agisse de respecter le confinement pour "aplatir la courbe" des contaminations, de porter un masque pour se protéger et protéger les autres, ou de se faire vacciner, l’idée mise en avant par les campagnes de santé publique est de sensibiliser aux conséquences de nos actions pour autrui. En ce sens, ces actes sont élevés au rang d’actions citoyennes.
La citoyenneté, il revient de le rappeler, est un concept aux acceptions diverses. Ici, comme dans l’ensemble des activités menées par le CPCP, nous entendons par citoyenneté "le fait d’appartenir, du niveau local au niveau global, à une ou plusieurs communauté(s) […]" et "le droit inaliénable de contribuer activement, fût-ce de manière critique, à la définition et à la poursuite du bien commun"1. Deux concepts sont ici d’une importance particulière : l’appartenance et le bien commun. Appartenir à une communauté, en l’occurrence à la société, implique la reconnaissance de l’autre, d’un autrui généralisé, comme égal à soi-même. Ainsi, si la vie d’autrui a autant de valeur que la sienne, le ou la citoyen·ne voit en la vaccination, un moyen efficace de parvenir à une immunité collective face au virus, un acte relevant de sa responsabilité sociale, nonobstant le gain personnel qu’il ou elle en tire. Vient ensuite le bien commun, qui dans le cas présent, se résume à la sûreté collective. La poursuite du bien commun implique un exercice périlleux d’équilibre entre la liberté individuelle et la sûreté collective. Les importantes restrictions que nous connaissons en termes de liberté de mouvement ou de rassemblement depuis le début de la crise sanitaire en sont naturellement une illustration. Or, pour le philosophe des Lumières Jean-Jacques Rousseau, c’est justement la citoyenneté qui est censée réconcilier sûreté collective et liberté et sceller le contrat social. Rousseau voit en effet en la citoyenneté une forme d’association où "chacun, s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant"2. Le citoyen et la citoyenne, consentent librement - au minimum - aux recommandations qui leur sont faites, mais aussi aux interdictions, dans la mesure où elles s’appuient sur l’objectif sociétal de poursuite du bien commun.
Pourquoi se vacciner ? Toujours pour se protéger du covid-19, le "se" se référant au "nous", l’association des citoyens libres et égaux.
Au cours de la crise sanitaire que nous traversons, les pouvoirs publics ont eu à s’appuyer sur la citoyenneté des uns et des autres à plus d’une reprise. La campagne de vaccination met ainsi l’accent sur les bénéfices sociétaux de la vaccination, une fois un seuil de vaccination de 70% de la population atteint. Cela s’observe par exemple dans le contenu promotionnel de la plateforme jemevaccine.be qui propose plusieurs capsules vidéo ou des personnalités publiques sont invitées à parler de la vaccination. Parmi elles, Christine Mahy, secrétaire générale et politique du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, explique ainsi :
Ma raison principale de me vacciner, c’est vraiment protéger les populations qui vivent beaucoup d’injustice, qui sont les plus vulnérables et qui sont les plus fragiles, en fait, face à cette crise sanitaire. […] Et puis je tiens par ailleurs à me protéger personnellement et à protéger mes proches.3
De son côté, le DJ Kid Noize explique :
Oui, je compte me faire vacciner. C’est évidemment une question personnelle mais c’est aussi une question collective. Si je le fais tout seul, ça ne servirait pas à grand-chose […].4
Enfin, le footballeur Eden Hazard préfère rappeler l’intérêt de la vaccination pour un retour aux plaisirs de la "vie d’avant" :
[…] si toi aussi tu veux revenir nous voir jouer dans les stades, si toi aussi tu veux faire la fête après les matches, s’il te plait, fais comme moi : fais-toi vacciner.5
Il peut être retenu de ces quelques éléments de communication que la vaccination s’insère dans un projet collectif sans pour autant nier l’intérêt personnel que chacun y trouve. Il ne s’agit pas d’une cause externe au citoyen. L’enjeu est en effet aussi sa propre santé, le retour à une certaine vie sociale ou aux loisirs de groupes, mais ceci dépend d’un effort du collectif. La sécurité de tous, comme la liberté de tous, dépend de la solidarité entre citoyens qui partagent le pouvoir de faire avancer la société – belge – vers l’immunité collective.
Peut-être certains lecteurs et lectrices de cet article auront remarqué, au détour d’un trajet en transport en commun par exemple, que la campagne de vaccination ne se contente pas de jouer sur la fibre citoyenne. C’est en tout cas ce que l’on peut se dire en lisant ce message de la plateforme jemevaccine.be : "Thomas s’est fait vacciner pour partir en vacances".6 Qu’entend-on par-là ? Thomas se vaccine-t-il afin de contribuer à une baisse générale des contaminations, évitant une fermeture des frontières ou des établissements Horeca ? Ou peut-être Thomas, souhaite-t-il se faire vacciner afin d’obtenir un certificat de vaccination sur son Certificat Numérique Européen COVID, lui permettant de partir en vacances sans tracas ? En d’autres termes, Thomas s’est-il fait vacciner car il a considéré qu’il ferait face à trop d’obstacles à sa libre circulation en tant que non-vacciné ?7 Ce poster promotionnel est au mieux dans une zone grise, entre ce que nous appellerons la vaccination du citoyen et la vaccination de l’homo economicus.
L’homo economicus, cher à l’économie politique, est un individu rationnel qui "effectue ses choix en fonction de son intérêt propre, et qui cherche donc à obtenir la plus grande satisfaction avec le minimum d’effort8". Il n’agit pas, comme le ferait le citoyen décrit par Jean-Jacques Rousseau, selon la loi d’un collectif dans lequel il se reconnait ou dans la poursuite de l’intérêt général, mais parce qu’il a calculé que c’était le choix le plus rationnel selon une analyse couts-bénéfices. L’homo economicus, à défaut d’être un citoyen, est un bon calculateur. Il ne tuera point, car le cout des sanctions est plus élevé que ce qu’il gagnerait à enfreindre cette règle des plus fondamentales. Il empruntera les transports publics car c’est moins couteux que la voiture. Mais se vaccinera-t-il ?
L’homo economicus se vaccinera s’il y trouve son compte. A priori, il devrait facilement y trouver un intérêt personnel, le vaccin étant gratuit et garant d’une protection renforcée contre une maladie potentiellement létale. Mais tout bon individu rationnel qu’il est, il se peut que l’homo economicus exagère la perception du danger lié aux effets secondaires du vaccin, minimise son efficacité sur le système immunitaire et n’y trouve finalement pas son compte. Si beaucoup d’entre nous se retrouvent dans cette situation, le risque encouru est que la part de personnes vaccinées permettant une protection collective contre le coronavirus ne soit pas atteinte. Que faire, donc ?
Une solution réside dans ce que l’on appelle l’incitation. Plutôt que de convaincre chacun de l’intérêt intrinsèque de la vaccination, il est en effet aussi possible de mettre en place des politiques rendant la vaccination intéressante à d’autres fins considérées comme plus prioritaires pour l’individu. C’est l’approche de la "carotte et du bâton" : il est possible d’augmenter le bénéfice personnel de la vaccination ou le cout de la non-vaccination en associant cette action à d’autres conséquences.
Un exemple très concret de cette approche se met à présent en place en France. Dès le 21 juillet, il n’y sera plus possible d’assister à un événement de plus de 50 personnes sans "pass sanitaire" attestant d’une vaccination contre le covid-19, d’un rétablissement ou d’un test négatif. A partir du début du mois d’aout, ce document devra être présenté pour se rendre dans un café ou restaurant, dans un hôpital ou une maison de repos, pour prendre le car ou le train sur une longue distance (…).9 Bref, d’ici peu, à moins de se faire tester plusieurs fois par semaine, il sera nécessaire de se faire vacciner pour profiter d’activités sociales et culturelles Outre-Quiévrain.
Cette politique semble faire preuve d’une certaine efficacité. Dans les heures suivant l’annonce de ces mesures, près d’un million de personnes ont pris rendez-vous pour se faire vacciner.10 Il reste qu’à la question "Pourquoi se faire vacciner", certains seraient tentés de répondre "pour aller au restaurant". Mais est-ce pour autant un problème ?
Tout d’abord, il convient de nuancer : cette publication n’est pas un réquisitoire à l’encontre des campagnes de vaccination opérées en Belgique ou ailleurs. A la décharge des autorités françaises, il ne peut leur être reproché d’avoir axé leur campagne de vaccination sur des politiques incitatives dès le premier jour. Cette nouvelle étape est le signe d’une stratégie vaccinale qui garde toujours en ligne de mire l’objectif d’une immunité collective, tributaire d’une couverture vaccinale estimée à 90% de la population adulte, selon certains.11 En outre, il revient de noter que l’affiche "Thomas s’est fait vacciner pour partir en vacances" ne peut résumer les efforts de sensibilisation à la vaccination opérés en Belgique. Par ailleurs, à la différence des mesures annoncées en France, cette affiche ne fait que "rappeler" l’intérêt de la vaccination pour voyager.
Force est cependant de constater qu’inciter à la vaccination en appelant à un calcul cout-bénéfice plutôt qu’à l’esprit citoyen passe comme un constat d’échec. Une telle approche ne nous ramène pas à notre identification à la norme ou à la société dans laquelle nous vivons, pas plus qu’elle ne fait appel à notre solidarité envers nos prochains – et nos lointains. Il s’agit d’une approche "bête et méchante" qui réduit le citoyen au statut d’individualité qu’il s’agit de guider dans un sens ou dans un autre. Il n’y a même pas d’obligations, juste des contraintes, censées nous guider à la lumière de notre rationalité individuelle et de notre poursuite du plus grand gain au moindre effort. Cette approche ne nécessite pas d’informer l’individu. En grossissant le trait, il ne semble même pas impératif qu’il soit conscient de la finalité de la vaccination : l’essentiel est qu’il se vaccine, quelle que soit sa motivation. On en est donc arrivé là.
Éveiller les consciences citoyennes pour qu’une part significative de la population adhère à la politique vaccinale, bien que cela fasse partie des stratégies des pouvoirs publics, demande beaucoup d’énergie, de mobilisation de terrain et un certain temps. Or, le temps est une variable critique dans la situation sanitaire actuelle.
Que l’on s’en remette à appâter l’individu plutôt que de convaincre le citoyen s’apparente à un échec, certes, mais il serait injuste d’accabler les décideurs politiques actuels sans prendre davantage de recul. L’échec pouvait en fait être constaté avant la crise sanitaire et doit plutôt être attribué à notre société dans son ensemble. L’homo economicus des économistes néo-classiques est aujourd’hui considéré comme relevant de la fiction. Nous manquons en effet d’informations et n’agissons pas rationnellement à tout point de vue. Mais qu’en est-il du citoyen ? Loin de la considérer comme une pure fiction, l’idée avancée plus haut d’une personne s’unissant à tous et se reconnaissant dans la loi au point d’y obéir tout en n’obéissant qu’à lui-même prête à sourire. Combien de personnes en Belgique se considèrent-elles suffisamment reconnues et intégrées par leurs "pairs" pour vivre effectivement cette citoyenneté ? Peut-on estimer que 90% des adultes adhèrent et se reconnaissent dans le projet que constitue la campagne de vaccination pour y adhérer ? Ironiquement, si c’était le cas, nos gouvernements n’auraient aucune crainte de rendre la vaccination obligatoire.
Nous faisons face aux conséquences d’un lent processus de défiance, vis-à-vis de l’autorité politique comme scientifique. Sous couvert d’esprit critique, ce phénomène des Citizens Against Virtually Everything12 qui révèle une profonde déliquescence du contrat social, peut avoir des conséquences désastreuses sur le court terme en matière de santé publique, mais aussi à long terme, en matière environnementale. Ce phénomène mêlant scepticisme généralisé et repli sur soi ne peut être vaincu en quelques mois. Pour autant, il ne serait pas pertinent de baisser les bras et de s’en accommoder à coups de politiques incitatives.
Le CPCP est une association qui se donne pour objet social de promouvoir une citoyenneté active, responsable et inclusive. C’est l’objectif visé par nos publications, animations d’éducation permanente, ateliers participatifs et formations. Sur le terrain, nous pouvons rencontrer des personnes peu ou mal informées sur leurs droits, sur l’actualité ou sur certains enjeux de société pourtant importants. Nous rencontrons néanmoins très rarement des individus refusant d’être informés ou d’échanger sur un quelconque sujet. S’il peut être tentant de réduire la société à une masse d’individualités influençables, ceci nous semble erroné et même contre-productif. Pousser la vaccination en la réduisant à un pass sanitaire, comme baser une politique de mobilité sur des incitants fiscaux, c’est faire le choix du paternalisme. C’est aussi risquer de brouiller le message et de semer le doute sur la vraie finalité de la vaccination contre le covid-19. Il est peu probable que cela rassure ceux et celles qui y voient un autre dessein. Au fond, pourquoi se vaccine-t-on ?
1La Charte du CPCP, Bruxelles : Centre Permanent pour la Citoyenneté et la Participation, 2019, [En ligne :] consulté le 27 juillet 2021.
2J-J. ROUSSEAU, Le contrat social, Paris : Editions sociales, 1989, p. 87.
3C. MAHY, « Christine Mahy Story », je me vaccine.be, Charleroi : Agence pour une Vie de Qualité, 2021, [en ligne :] https://www.jemevaccine.be/ressources/?c=videos, consulté le 15 juillet 2021.
4KID NOIZE, » Kid Noize Square », je me vaccine.be, Charleroi : Agence pour une Vie de Qualité, 2021, [en ligne :] https://www.jemevaccine.be/ressources/?c=videos, consulté le 15 juillet 2021.
5E. HAZARD, « Message d’Eden Hazard », je me vaccine.be Charleroi : Agence pour une Vie de Qualité, 2021, [en ligne :] https://www.jemevaccine.be/ressources/?c=videos, consulté le 15 juillet 2021.
6« Affiches A2 ‘S’est fait vacciner’, je me vaccine.be, Charleroi : Agence pour une Vie de Qualité, 2021, [en ligne :] https://storage.googleapis.com/jemevaccine/AVIQ-Affiche%20-%20A2-2.pdf, consulté le 15 juillet 2021.
7Et non en tant que membre d’une société n’ayant pas atteint un seuil de vaccination satisfaisant
8G. RIST, « Chapitre 3. L'Homo oeconomicus : un fantôme dangereux », in G. RIST, L’économie ordinaire entre songes et mensonges, Paris : Presses de Sciences Po, « Références », 2010, p. 51.
9« pass sanitaire », Info-coronavirus, Paris : Gouvernement de la république Française, 2021, [en ligne :] https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/pass-sanitaire, consulté le 16 juillet 2021.
10AFP, « " Ça n’arrête pas ": plusieurs centres de vaccination de Paris pris d’assaut après les annonces de Macron, Le Soir, 13 juillet 2021, [en ligne :] https://plus.lesoir.be/383806/article/2021-07-13/ca-narrete-pas-plusieurs-centres-de-vaccination-de-paris-pris-dassaut-apres-les, consulté le 16 juillet 2021.
11S. CAUCHEMEZ, « Immunité collective : « Il ne suffit pas de vacciner beaucoup de monde », Entretien, Paris : Gouvernement de la république Française, 2021, [en ligne :] https://www.gouvernement.fr/immunite-collective-il-ne-suffit-pas-de-vacciner-beaucoup-de-monde, consulté le 16 juillet 2021.
12En français : Les Citoyens Contre Pratiquement Tout. Souvent réduit à l’acronyme ”CAVE”