Analyse n°442 de Roxane Lejeune - octobre 2021
La prostitution, parmi d’autres sujets de société, est devenue au fil des élaborations théoriques, juridiques et intellectuelles, un objet d’étude empreint de fortes conflictualités autant parmi les intellectuel·le·s que parmi les citoyen·ne·s. Les féministes ne font pas exception. Tantôt perçue comme une manière d’exercer une liberté à disposer de son corps, tantôt appréhendée comme un espace au cœur de la domination patriarcale et masculine, la question de la prostitution a été emparée, parfois avec véhémence, par les féministes radicales comme par les féministes davantage libérales. Si ces conflictualités animent nombres de débats féministes, elles trouvent également échos dans différents modèles juridiques et politiques. Qu’on soit pour une régulation ou une abolition, la prostitution nous pose parfois question 1, et ne nous laisse pas indifférent·e·s tant diverses conceptions des enjeux se laissent observer.
L’objectif de cette analyse est de rendre compte des différents enjeux contemporains en matière de prostitution au travers des regards féministes et des mythes qui y sont souvent associés. De plus, si la prostitution a été étudiée dans de précédentes analyses du CPCP 2, il s’agira ici d’en offrir une actualisation autour de nouveaux enjeux, entre autres féministes, puisqu’ aujourd’hui se joue dans notre pays la possibilité d’une réforme importante de notre droit pénal sexuel (et notamment des cadres de l’exercice de la prostitution).3
Ainsi, dans un premier temps, nous évoquerons, afin de développer des bases de compréhension communes, les différents cadres de la prostitution. Nous étudierons ainsi les enseignements tirés des modèles réglementaristes, (néo-)abolitionnistes ou prohibitionnistes entourant la prostitution. Dans un deuxième temps, nous aborderons les regards féministes portés sur la prostitution. Véritable espace de conflictualité, nous tenterons d’étudier les points de vue féministes abolitionnistes et pro-sexe, afin de les mettre en perspective. Dans un troisième temps, nous aborderons les politiques belges en la matière. En effet, aujourd’hui se dessine un basculement vers un nouveau cadre juridique en droit pénal sexuel dans notre pays : quels en sont les tenants et aboutissants, notamment vis-à-vis du féminisme ? Enfin, dans un quatrième temps, nous évoquerons les différents mythes et idées reçues entourant la prostitution, lesquels semblent encore être mobilisés pour justifier des décisions politiques majeures, et ce, notamment par notre ministre de la Justice.
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1 Par exemple, dans un atelier en éducation permanente réalisé par le CPCP auprès d’un groupe de femmes étrangères, habitantes de Bruxelles, où la question de la prostitution était amenée, une participante nous disait : « je comprends et je ne comprends pas ».
2 P. PAPE, « La prostitution est une violence faite aux femmes. Refusons d’être complices ! », CPCP, Analyse n°129, 2011, [en ligne :] https://www.cpcp.be/wp-content/uploads/2011/11/prostitution_violence_femmes-2.pdf, et I. DE BIOLLAY, P. LOECKX, et N. SERROKH, « La mise en place de complexes hôteliers dédiés à la prostitution », CPCP, Analyse n° 140, 2011, [en ligne :] http://www.cpcp.be/wp-content/uploads/2011/12/complexes_hoteliers_prostitution.pdf.
3 « Projet de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel », La Chambre, 19 juillet 2021, [en ligne :] https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/2141/55K2141001.pdf.
Diplômée d’un master en Psychologie et d’un master 2 en Sociologie, Roxane Lejeune est collaboratrice dans la thématique Médias & Actions citoyennes chez Citoyenneté & Participation.