Étude n°38 de Boris Fronteddu - juin 2022
Il existe de nombreuses définitions de l’énergie selon que l’on choisisse une approche physique, sociologique, écologiste, économique... Cette étude, pour sa part, se base sur la définition suivante :
« L’énergie représente la capacité à effectuer un travail. La photosynthèse, la force musculaire, l’évaporation de l’eau, la vapeur, la combustion (…) c’est un concept qui s’applique à toutes les sociétés humaines à tous les niveaux d’interaction avec l’environnement naturel. La relation sociétale avec les formes d’énergie (muscles, vent, eau et machines alimentées par des combustibles) est toujours un facteur central qui façonne la manière dont les gens produisent des moyens de subsistance, traversent l’espace et établissent des relations d’échange ».1
L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a placé l’énergie au cœur du débat politique. L’instabilité géopolitique liée à cette intervention militaire a plombé d’incertitudes les projections d’approvisionnement en gaz naturel – et plus largement – les prix de l’énergie sur les marchés internationaux. Cette situation a mené les autorités fédérales belges à repousser la fermeture des deux réacteurs nucléaires (Doel 4 et Thiange 3) de 2025 à 2035.2 Dans ce cadre, les débats politiques se sont principalement articulés autour des avantages et inconvénients d’un éventuel prolongement du nucléaire ou de la fermeture progressive de celui-ci avec, en contrepartie, le développement de nouvelles centrales à gaz.3 Si le choix du mix électrique national mérite bien entendu de se retrouver au centre de l’attention publique et du débat politique, il tend à occulter une autre réalité. En effet, en 2020, environ 75 % de l’énergie finale consommée en Belgique provenait de combustibles fossiles et cette part est restée relativement stable au cours de la dernière décennie.4 En d’autres termes, non seulement les combustibles fossiles représentent la première source de consommation finale d’énergie en Belgique, mais en plus de cela, les pouvoirs publics ne sont pas parvenus à faire baisser leur consommation au cours des dix dernières années.
Dans le même temps, la Belgique s’est engagée à respecter une série d’objectifs climatiques et environnementaux au cours des décennies à venir. Parmi ceux-ci, nous pouvons par exemple citer l’objectif d’une Union européenne « climatiquement neutre » à l’horizon 2050 5 ou encore les engagements de l’Accord de Paris (COP 21) visant à maintenir le réchauffement planétaire en dessous des 2° C (voire, de préférence, 1,5° C) par rapport aux niveaux préindustriels.6 Mis dos à dos, engagements politiques et réalités énergétiques apparaissent, en l’état, inconciliables. Cette étude vise donc à appréhender au mieux le rôle des énergies fossiles au sein de la société et de l’économie nationale belge. À quoi et à qui servent-elles ? Pourquoi est-il si difficile d’en réduire la consommation ? La Belgique se donne-t-elle les moyens de ses ambitions climatiques ? Quelles seraient les conditions nécessaires pour opérer une réelle transition énergétique ?
Avant tout, il convient de préciser que le concept de « transition énergétique » suppose une trajectoire « phasiste » de l’utilisation des ressources énergétiques. Or, depuis la révolution industrielle, les nouvelles ressources énergétiques et les innovations technologiques qui ont permis de les exploiter ont plutôt suivi une trajectoire cumulative. En ce sens, le développement des mines de charbon a nécessité un accroissement considérable de la consommation de bois pour développer les grandes artères minières. Similairement, l’arrivée du pétrole ou de l’énergie nucléaire n’a pas remplacé l’utilisation du charbon, la demande pour celui-ci est, à l’échelle mondiale, en constante augmentation depuis le XVIIIe siècle. De la même façon, alors que les énergies renouvelables sont aujourd’hui présentées comme un moyen de remplacer les sources énergétiques carbonées, l’analyse de la consommation énergétique mondiale par source d’énergie démontre qu’elles se sont en réalité ajoutées aux consommations existantes (de pétrole, de charbon, de gaz...) dans le cadre d’une demande toujours croissante en énergie.7 Il convient donc de souligner que, dans cette étude, le concept de « transition » doit être entendu comme le fait de remplacer des énergies carbonées par des énergies décarbonnées.
Fondamentalement, chaque énergie exploitée impose une série de contraintes écologiques, sociales, techniques, économiques et institutionnelles. Repenser un mix énergétique à grande échelle doit donc s’inscrire dans une réflexion à la croisée entre la physique, les sciences sociales et l’économie.8 Pour ce faire, il convient de revenir brièvement sur l’histoire de la Belgique et de sa relation avec les énergies. Nous nous pencherons, à ce titre, sur la façon dont les énergies disponibles et les techniques utilisées pour les générer et les distribuer ont façonné l’ensemble de nos structures sociales, institutionnelles et économiques. Prendre conscience de l’influence de l’énergie sur l’évolution et la construction d’une société permet de mieux appréhender les obstacles auxquels peut se heurter la réalisation d’une véritable transition énergétique vers une économie bas carbone.
Cette étude débute avec un aperçu non exhaustif de l’importance des énergies fossiles (charbon, gaz naturel et pétrole) au sein du modèle socio-économique belge. Il s’agit de s’intéresser aux infrastructures qui leur sont liées ainsi qu’au poids que ces dernières représentent au sein de l’économie nationale. Nous passerons ensuite brièvement en revue les verrous qui rendent une sortie des énergies fossiles particulièrement complexe. À ce titre, les limites physiques et pragmatiques qui s’opposent à l’électrification de l’économie et au déploiement des énergies renouvelables seront brièvement analysées. Une fois ces limites établies, nous nous pencherons sur les liens inextricables qui existent entre croissance économique d’une part et consommation d’énergie et de matières premières d’autre part. Toutes ces contraintes nous permettront d’appréhender brièvement et de façon critique la compatibilité du modèle redistributif de sécurité sociale belge avec une société bas carbone (cette thématique fera, par ailleurs, l’objet d’une analyse spécifique et plus détaillée du CPCP au cours de l’année 2022). Enfin, la conclusion appelle à ouvrir le débat politique afin d’assurer une véritable transition vers une économie au sein de laquelle la production et la consommation seraient considérablement contraintes par une sortie des énergies fossiles.
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1 HUBER M. T., « Energizing historical materialism : Fossil fuels, space and the capitalist mode of production », Geofo-rum, vol. XL, n°1, janvier 2009, p. 106.
2 « La Belgique repousse de dix ans sa sortie du nucléaire », Reuters.com, 18 mars 2022, [en ligne:] https://www.reuters.com/article/belgique-nucleaire-idFRKCN2LF2AA, consulté le 16 juin 2022.
3 Voir par exemple : « Prolongation du nucléaire : débat houleux entre MR et Ecolo », RTL.be, 5 juin 2022, [en ligne :] https://www.rtl.be/info/video/814147.aspx, consulté le 16 juin 2022.
4 En 2020, les produits pétroliers représentaient 46,1% de la consommation finale d'énergie, le gaz naturel 26,8% et les combustibles fossiles solides 2%. Voir : Energy Key Data édition 2022, Bruxelles : SPF Économie, P.M.E., Classe Moyenne et Énergie, février 2022, 39 p., [en ligne :] https://economie.fgov.be/fr/publications/energy-key-data-fevrier-2022, consulté le 16 juin 2022.
5 En tant qu'étape intermédiaire, la Commission européenne entend réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% par rapport aux niveaux de 1990 au sein de l'UE d'ici 2030. Voir : « Plan cible en matière de climat à l'hori-zon 2030 », Ec.europa.eu, s.d., [en ligne :] https://ec.europa.eu/clima/eu-action/european-green-deal/2030-climate-target-plan_fr, consulté le 16 juin 2022
6 Accord de Paris, Paris : Nations unies, Conférence des Parties (CCOP), 4 novembre 2016, [en ligne :] https://unfccc.int/fr/processus-et-reunions/l-accord-de-paris/l-accord-de-paris, consulté le 16 juin 2022.
7 BP Statistical Review of World Energy 2020, Londres : BP, juin 2020, 68 p., [en ligne :] https://www.bp.com/en/global/corporate/energy-economics/statistical-review-of-world-energy.html, consulté le 16 juin 2022.
8 COLLARD F., « La transition énergétique », Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. MMCCCXXI, n°36, 2016, pp. 5-44, [en ligne:] https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2016-36-page-5.htm, consulté le 16 juin 2022.
Boris Fronteddu est chargé de recherche dans la thématique Consommation durable, au sein du pôle Recherche & Plaidoyer. Il est titulaire d’un master en journalisme ainsi que d’un master en politiques européennes.