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Lutte contre les logements inoccupés

La Région wallonne se dote de nouveaux outils


Dans un contexte de crise où de nombreux ménages éprouvent des difficultés à se loger décemment, la Région wallonne va renforcer sa lutte contre les logements inoccupés. En 2022, le gouvernement wallon sur l’impulsion de Christophe Collignon Ministre wallon du logement, des pouvoirs locaux et de la ville a décidé d’adopter de nouvelles mesures contre la vacance immobilière résidentielle. Celles-ci viendront compléter l’arsenal existant comme les mises en gestion, les réquisitions douces et unilatérales, les taxes communales ainsi que toutes les aides actuelles pour accompagner les propriétaires dans la remise en conformité de leur logement… Ainsi plus que jamais, laisser son logement vide sans justification constituera une infraction !

Concrètement, qu’entend-on par la notion de logement inoccupé ou de vacance immobilière résidentielle ? Elle recoupe des réalités et des problématiques extrêmement bigarrées. Selon une étude du Centre d’Etudes en Habitat Durable de 2016 : "Les manières de définir la vacance immobilière résidentielle sont également employées, quel que soit le type de bâti (résidentiel, commercial, etc.). La typologie usuelle comporte deux catégories principales : la vacance frictionnelle (qui correspond aux logements inoccupés, mais présents sur le marché, en attente de location ou de vente, et dont le délai de réoccupation est jugé normal, c’est-à-dire inférieur à six mois) et la vacance structurelle (qui correspond aux logements restants vacants au-delà du délai jugé normal, c’est-à-dire à partir de six mois)".1 D’après la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (FEANTSA), un logement sur six serait inoccupé en Europe en 2019 !

Mais quelles sont les raisons qui poussent un propriétaire à ne pas occuper/louer son bien ? Est-ce toujours avec des intentions spéculatives ? Bien évidemment non. Au contraire, les causes sont assez variées. On peut citer :

  • les difficultés financières ou techniques qui empêchent de réaliser des travaux ;
  • les héritages et indivisions complexes ;
  • des propriétaires vivant à l’étranger ;
  • des hospitalisations ou des départs en maison de retraite ;
  • des délais de vente trop longs ;
  • l’attente de permis d’urbanisme…

Par ailleurs, dans certains contextes, l’offre est parfois supérieure à la demande. Néanmoins, cette situation reste encore marginale : aucun déterminisme fort n’a pu être établi entre ce déséquilibre et des logements inoccupés.

De même, les profils de propriétaires et de biens peuvent couvrir des réalités très différentes. A fortiori, il est important de s’attaquer aux cas les plus sérieux, ainsi qu’aux propriétaires de mauvaise volonté laissant la situation se dégrader au fil des années. D’où l’importance de lutter contre la vacance immobilière structurelle, et accompagner la vacance circonstancielle.

Actuellement, on dénombre à Bruxelles et en Région wallonne respectivement près de 50 000 et 45 000 personnes uniquement sur les listes d’attente d’un logement public. Dans certaines communes, le nombre de logements inoccupés dépasse le nombre de ces demandes ! Au-delà de cette absence de logement ou de mal de logement, cette vacance immobilière résidentielle peut, quand la situation s’inscrit dans la durée, représenter de nombreux problèmes. Citons notamment :

  • des problèmes de salubrité ;
  • de conformité ;
  • voire de dangerosité.

Ces bâtiments laissés à l’abandon génèrent également des effets néfastes au niveau de la qualité du cadre de vie et du bâti, contribue à une mauvaise image d’une ville, et par voie de conséquence impacte son développement économique et touristique… En outre, ces nombreux outils peuvent constituer une aide précieuse contre les quartiers en déréliction2 en milieu urbain ou rural. Et enfin, dans une démarche du "stop au béton"3, la remise en circulation de nombreux logements inoccupés pourrait ralentir un étalement urbain.

Trois nouvelles mesures adoptées dans la lutte contre les logements inoccupés.

  • Des seuils de consommation d’eau et d’électricité minimaux

Selon un arrêté du Gouvernement wallon du 19 janvier 2022, article 80 du CWHD, qui entrera en vigueur au 1er septembre 2022, les gestionnaires de réseaux de distribution (eau et électricité) devront communiquer aux pouvoirs locaux (quid des associations agréées ?) la liste détaillée des logements présentant des anomalies de consommations. Pour ce faire, le législateur wallon a fixé des seuils de consommations en deçà desquelles les logements pourraient être présumés inoccupés.

  • Pour l’eau, une consommation inférieure à 15 m3 par an
  • Pour l’électricité, une consommation inférieure à 100 kW par an.

Est-ce suffisant ? Quid des basses consommations des ménages à l’étranger, en maison de repos, des personnes hospitalisées, des propriétaires de panneaux ou de citerne d’eau de pluie… Bref, vous l’aurez compris, il s’agit d’un premier indicateur. Selon Mathilde Flas4, doctorante en ingénieure civile architecture à l’Université de Liège, il faudrait pouvoir croiser à la fois les données des consommations d’eau et d’électricité avec les domiciliations pour faciliter l’identification des logements réellement vacants. Ce modèle de détermination des logements présumés inoccupés peut donc encore tout fait être amélioré et nécessitera la pleine collaboration des différents services en matière de croisement de données. Toutefois, des enquêtes de terrain devront permettre d’affiner le diagnostic et de confirmer la vacance immobilière.

  • L’effectivité de l’action en cessation

Plus de 10 ans après Bruxelles, la Région wallonne se réfère à un décret du 1er juin 2017 réformant le Code wallon du Logement et de l’habitat durable pour introduire l’action en cessation contre des propriétaires de logement inoccupé. Un juge du tribunal de première instance statuant comme en référé pourra ainsi ordonner toute mesure utile afin d’assurer l’occupation ou la revente du logement dans un délai raisonnable de 2 jours. Toujours en 2017, la ville de Huy a été la première à intenter une action en cessation contre un multipropriétaire de la région. En Région bruxelloise, malgré quelques résultats encourageants avec des ménages relogés, cette procédure a été trop peu intentée due notamment à sa lourdeur administrative. Ces actions ont donc été surtout symboliques et exemplatives.

Grand changement à venir : la possibilité d’agir en justice pour faire cesser l’inoccupation (action en cessation) est ouverte à des associations de défense du droit au logement. Elles seront agréées pour mener à bien cette mission. Selon toute vraisemblance, la grande majorité des associations devraient être des agences immobilières sociales (AIS) et des associations de promotion du logement (APL), rappelons-le sous la tutelle du Fonds du Logement des familles nombreuses. En effet, elles détiennent déjà des agréments de la Région wallonne pour leur travail en matière de droit au logement, et ce nouvel agrément renforcerait leurs actions. Cet agrément sera octroyé pour une durée de 5 ans avec possibilité d’un subside. Cependant, même si les conditions de cet agrément sont fixées dans l’arrêté du Gouvernement wallon du 19 janvier 2022 relatif à l’agrément des associations visées à l’article 85sexies du Code wallon de l’Habitation durable (les associations doivent pouvoir justifier une action en matière de droit au logement et posséder une personnalité juridique), encore faudra-t-il en définir ses contours. En effet, à ce stade ces critères ne sont pas encore établis, ni les moyens mis à leur disposition par la Région wallonne pour réaliser ce travail de cadastre, juridique, de terrain… Cela nécessitera des moyens humains, financiers et… du temps.

Par ailleurs le subside pour les associations agréées pourrait couvrir :

  • les frais de fonctionnement liés aux actions en cessation mises en œuvre ;
  • les frais de procédure de la conduite des actions en cessation mise en œuvre ;
  • les frais d’avocat liés à la conduite des actions en cessation mise en œuvre.

Donc, a priori les associations agréées ne recevront pas de financement pour leur temps de travail alloué. Dès lors plusieurs questions se posent :

  • Au vu de ces conditions de subventionnement, l’objectif de remettre un maximum de logement sur le marché est-il tenable ?
  • Comment s’organisera le contrôle de ces structures ? Sur quelles bases ? Y aura-t-il une obligation de résultat ?
  • Si c’est le cas, comment mettre en œuvre cette obligation alors que les moyens nécessaires à cette nouvelle tâche ne sont pas forcément suffisants ?

À l’instar de Bruxelles Logement, afin de ne pas multiplier et saupoudrer les moyens auprès de l’ensemble des associations agréées, ne faudrait-il pas plutôt favoriser un organisme centralisateur, autonome, armé pour ce type de procédures qui viendrait accompagner les associations ? Les associations pourraient solliciter cet organe wallon dès qu’un logement inoccupé serait identifié.

Autre point important, cette ouverture aux associations limitera une forme d’"impunité" de la part d’acteurs publics propriétaires également d’immeubles inoccupés. Par cela, nous entendons que les futures associations agréées auront l’opportunité de dénoncer des situations où les acteurs publics seront eux-mêmes en infraction !

  • Montant de l’amende administrative

En cas d’infraction, le montant de l’amende administrative a également été arrêté par le gouvernement wallon. Celle-ci s’élèverait d’un montant compris entre 500 et 12 500 € par logement (en fonction de la longueur de la façade et du nombre d’étages) par période de 12 mois, sans interruption d’inoccupation établie d’au moins trois mois. Cette amende administrative peut être établie parallèlement aux taxes communales (double sanction).

Évitons une coquille vide !

Afin de ne pas voir l’action en cessation se résumer à quelques actions exceptionnelles ou ponctuelles, la Région wallonne va devoir simplifier la procédure administrative et juridique pour que les communes mais surtout les associations puissent s’emparer de cette opportunité de remettre en circulation une quantité de logements non négligeable.

Dans un contexte de droit à la propriété très fort en Belgique, la réquisition et l’action en cessation sur les propriétés vacantes est souvent vue comme des dépossessions, des ingérences excessives sur le droit de propriété des individus. Clairement, ce constat remet le débat en perspectives entre droit au logement et droit de propriété.

Il faudrait pouvoir passer d’une intention de "Buy-to-leave" (acheter pour partir) à une logique de "buy to let" (acheter pour louer) voir à une démarche de "buy to help" (acheter pour aider). Il s’agit d’un énorme changement de paradigme auprès des propriétaires.

Sait-on jamais, pourrait-on imaginer ces mêmes mesures applicables aux bureaux ou surfaces commerciales inoccupés pour leur reconversion en logements ? Pour exemple, en Région bruxelloise, selon une étude réalisée par l’Observatoire des bureaux et publiée par perspective.brussels, on dénombrait en 2020 un million de m2 de surface inoccupée de bureaux5. Une sacrée manne ! Dès maintenant, un encouragement est nécessaire pour que, dès la conception de bureaux ou de surfaces commerciales, les ingénieurs et architectes réfléchissent à leur réaffectation en logement (flexibilité d’affectation).

L’ensemble de ces nouvelles mesures seront-elles efficaces ? Rendez-vous dans quelques années pour évaluer leur efficacité ainsi que leur efficience.


1 Lemaire E. et Cassilde, S. (2016), La vacance immobilière résidentielle — Phase II, analyse comparative des territoires de Charleroi, Namur et Seraing. Rapport final du Relais Social de Charleroi et du Centre d’Etudes en Habitat Durable, Charleroi, juillet 2016, 79 pages

2 Zone ou quartier à l’abandon exempt d’intervention publique.

3 Dupont J., Mettre en œuvre le « Stop au béton ». Il y a urgence ! Analyse n°449. Centre Permanent pour la Citoyenneté et la Participation, (2022) [en ligne :] https://www.cpcp.be/publications/stop-beton-2/

4 Flas M, Les logements inoccupés comme ressource potentielle en Wallonie : Les freins de leur identification et de leur remise en état. Facultés des sciences appliquées de l’Université de Liège (Belgique), (2021) p. 132.

5 État des lieux 2018, 2019 et 2020/pipeline Approche des effets de la crise sanitaire sur les bureaux. Observatoire des bureaux n° 39, Perspective Brussels. Septembre 2021. 68 p.

Un article de Benoît Debuigne, Responsable Lieux de vie et Espace public