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Responsabiliser les acteurs financiers ?

Étude n°6 de Citoyenneté & Participation - février 2010


En dépit de l’intitulé de ce colloque, "responsabiliser les acteurs financiers", j’éviterai de tomber dans le discours moralisateur. Personnellement, je suis exaspéré par les vitupérations de Nicolas Sarkozy contre la cupidité des banquiers. Ce discours ne mène pas très loin et est, je le crains, oiseux.

Car si l’on envisage d’introduire de l’éthique dans les affaires, ce qui est absolument nécessaire, en tout cas dans le monde de la finance, il faut que le politique reprenne la main au marché et établisse des règles, il faut qu’il détermine ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas faire. Mon exposé plaidera donc pour la reprise en main par le politique, ce qui implique un rehaussement de sa propre capacité d’action, qu’il a laissé peu à peu s’éroder depuis une génération.

Commençons par les crises financières. On constate qu’elles sont récurrentes parce qu’elles sont inhérentes au capitalisme de marché. Elles peuvent soit trouver leur origine dans le cycle des affaires (comme ce fut le cas avec la Bulle du Nasdaq en 2000), soit être le produit de politiques macro-économiques ou d’un déficit de régulation (comme on l’a vu avec la crise asiatique de 1997-1998).

En principe, le système est suffisamment résilient pour absorber ces crises et les gérer à travers une combinaison du jeu du marché et d’intervention/régulation politique. Toutefois, en ce qui concerne la dernière crise, celle qui se déclenche déjà en 2006-2007, mais qui vient à maturité de façon spectaculaire le 15 septembre 2008 avec la faillite de Lheman Brothers, on assiste à une double défaillance. Il y a une défaillance du système de régulation mais aussi une défaillance du marché lui-même puisque, à un moment donné, il n’y a plus de marché, notamment pour les subprimes : il n’y a plus d’achat, plus de vente, donc plus de prix. L’illiquidité des acteurs provoque dès lors une insolvabilité en chaîne. C’est pourquoi on peut affirmer que cette crise n’est plus une crise "dans le système", mais au contraire une crise "du système". Dès lors, la réflexion devra être menée  beaucoup plus loin.

Par ailleurs, on entend souvent que c’est la crise la plus grave depuis celle de 1929 et on établit un parallèle avec cette dernière. Il y a des raisons de le faire, mais je mettrais plutôt l’accent sur trois différences.

Tout d’abord, en 1929, il n’existait pas de système multilatéral permettant de gérer de telles situations. Il n’y avait que l’étalon-or, un mécanisme automatique qui avait des effets déflationnistes  puissants. Cette fois-ci, le système, symbolisé par l’intervention, un peu improvisée mais finalement assez effective, du G20, parviendra d’abord à éviter une contraction du crédit, un "credit crunch". Le marché interbancaire étant bloqué, on l’a alors débloqué provisoirement en évitant le pire, bien que rien ne soit encore définitivement réglé et que des difficultés subsistent et pourraient se reproduire. Ensuite, le système a permis une relance de l’économie par une action concertée des pays qui en avaient la capacité et devaient le faire, notamment les nouvelles économies émergentes. Les pays en voie de développement ont été aidés dans cette phase difficile, tandis que, dans nos pays, les Etats, selon leurs marges d’endettement, ont mis en oeuvre une relance budgétaire plus ou moins importante. Troisièmement, le G20 a garanti le maintien du libre échange. Cela n’a pas été le cas partout mais, dans l’ensemble, on n’a pas connu de vague protectionniste, de dévaluation compétitive, même si la dépréciation brutale de 20% de la livre sterling par rapport à l’euro peut être considérée comme un contre-exemple.

La deuxième différence par rapport à la crise de 1929 est que de nouvelles contraintes imposent, à mon sens, des réformes systémiques et de nouvelles politiques. La première contrainte est l’endettement public. A ce titre, l’exemple de la France est symptomatique : alors qu’en 1970 la dette publique était de l’ordre de 20% du PIB, ce chiffre s’élevait à 60% il y a deux ans et sera de 80% l’année prochaine. La deuxième contrainte, le climat, qui nous oblige à sortir du carbone, peut aussi constituer un levier de relance de l’économie à moyen terme.

Enfin, la troisième différence, fait majeur, à mon sens trop souvent sous-estimé, c’est le déplacement du centre de gravité de l’économie mondiale de l’Ouest vers l’Est. Ce n’est pas seulement une question de poids économique relatif, c’est aussi le fait que l’Asie n’est pas, comme nous, touchée par la crise financière. Elle en subit certainement les effets mais, par exemple, il n’y a pas de crise financière en Chine. Cela pose donc la question de savoir si notre manière de gouverner est la bonne, si nous pouvons encore prétendre faire office d’étalon de référence. En effet, compte tenu de ce nouveau rapport de forces et du fait que, cette fois, notre régulation a failli, nos pays, et plus particulièrement l’Europe, sont invités à réfléchir à ce qu’ils doivent faire pour reprendre la main et amener de nouvelles réponses de gouvernance plus convaincantes.

 

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