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Afrique

Influences tous azimuts et désenchantement

Analyse n°115 de Citoyenneté & Participation - juillet 2011


1960-2010, cinquante ans d’indépendance pour seize pays africains : le Togo1, le Burkina Faso2, le Madagascar3, la République démocratique du Congo4, la Somalie5, le Bénin6, le Cameroun7, le Nigeria8, le Niger9, la Côte d’Ivoire10, le Tchad11, la République centrafricaine12, le Gabon13, le Sénégal14, le Mali15 et la Mauritanie16.

Mais, d’un point de vue géostratégique, l’Afrique demeure un paramètre incontournable du jeu mondial de l’après-guerre froide. Le continent joue, en effet, un rôle sui generis dans l’économie de la planète, au titre de réservoir de matières premières. Il suscite par conséquent la convoitise des pays en expansion, comme la Chine, et l’appétit de grandes multinationales qui, malgré la crise, y réalisent de juteux bénéfices. De plus, la lutte contre le terrorisme et la nécessité de sécuriser les approvisionnements énergétiques justifient l’intérêt géostratégique des grandes puissances. Les enjeux géopolitiques du continent sont donc indéniables.

Mais, le XXe siècle aura marqué d’un sceau indélébile et lourdement hypothéqué l’avenir du continent noir. Pour l’Africain, ce fut surtout une véritable "aventure ambiguë". Elle se traduit malheureusement par une précarité, une clochardisation et une extraversion socio-culturelle, épistémologique et spirituelle notoires. Ainsi, malgré les ressources naturelles tant convoitées dont elle regorge, l’Afrique peine à affirmer ses propres vues. Tel est l’étrange paradoxe d’une Afrique "riche" et courtisée, mais sous perfusion.

A en croire, plus précisément, Anne-Cécile Robert, des rapports de l’Afrique avec le reste du monde, après les cinquante ans de la vague d’indépendance, découlent d’implacables logiques de domination : "Les institutions financières internationales (IFI) et les États bailleurs de fonds (France, Union européenne, etc.) utilisent des armes redoutables pour orienter les cours des choses : l’argent (aide financière, refus d’annuler une dette aussi asphyxiante qu’inique) et le droit (définition de normes juridiques au travers de traités et d’institutions comme l’Organisation mondiale du commerce, OMC)17". Et, de renchérir qu’en outre, l’émergence de dirigeants africains "pouvant desserrer l’étau international se trouve entravée par les ingérences, directes ou indirectes, des anciens pays colonisateurs18". Pire encore, les élites africaines s’avèrent elles-mêmes incapables de proposer une autre vision de l’intérêt commun. Adeptes de l’idéologie néolibérale et déconnectées des préoccupations de la population, elles ne profitent pas des atouts de leur pays pour esquisser d’autres rapports de forces mondiaux19.

Bref, tel un miroir grossissant, l’Afrique fait rejaillir au grand jour les traits caractéristiques de la mondialisation. Ici, en effet, les masques tombent plus vite qu’ailleurs : "le libre jeu du marché s’y traduit en famines et en inégalités mortelles (44 % de la population subsaharienne vit avec moins d’un dollar par jour) ; des États faibles ou complices laissent les multinationales exploiter sans vergogne des salariés locaux aux droits microscopiques ; la "concurrence libre et non faussée" se sublime en une véritable guerre, dont l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), avec ses matières premières et ses rebelles armés, demeure le symbole20". Aussi, à l’instar du chaos social et humain qui y sévit, l’Afrique devient-elle l’entropie de l’ordre économique globalisé : "Notre problème en Afrique, ce sont les différentes ethnies qui ne parlent pas la même langue : nous avons la Banque mondiale, la coopération française, le Fonds monétaire international, l’Usaid21…".

En clair, la fin de la guerre froide a réellement impulsé une nouvelle donne géopolitique, qui n’a pas épargné l’Afrique. Au classique antagonisme Est-Ouest, où s’affrontaient, par pays africains interposés, l’URSS et les USA, succède un jeu moins stéréotypé. Les acteurs internationaux traditionnels sont ainsi contraints à s’adapter alors qu’émergent de nouveaux concurrents comme la Chine et le Brésil. Les capitales européennes, par exemple, sont davantage acculées à la défensive22. Washington n’hésite pas, par ailleurs, à enrôler des leaders noirs américains.

De plus, les relations internationales se sont étoffées d’autres protagonistes et d’agents privés comme les organisations non gouvernementales (ONG), les bureaux de consultance ou les Églises : "C’est ainsi que les lobbies évangéliques venus des États-Unis colonisent les milieux gouvernementaux, tandis que les ONG déterminent les termes de débats cruciaux, comme celui du Darfour23". La justice internationale n’est pas elle, non plus, en reste. Souvent, elle laisse planer une certaine ambiguïté entre les impératifs universels des droits humains et la nécessaire prise en compte des réalités locales.

Tout porte, donc, à croire qu’après les indépendances africaines, les puissances coloniales ont plié bagage, mais sans vraiment partir. En l’occurrence, la France bat tous les records. Malgré le fameux discours de la Baule, en 1990, les rapports entre Paris et les capitales africaines francophones se sont renforcés au fil des années. La France demeure le premier partenaire économique et politique d’Abidjan, de Yaoundé, de Libreville, de Lomé, de Dakar, de Ouagadougou, de Bamako, etc. Aujourd’hui encore, c’est la déferlante des autres grands pays. La Chine vient en première ligne dans le domaine du business et du commerce avec le continent. Les Moyens-Orientaux sont aussi de la partie. Le Sénégal, par exemple, a développé un solide partenariat avec les pays du Golfe. Les Américains, qui avait partiellement "ignoré" l’Afrique, y font un retour remarqué. Les Anglais ne sont pas prêts à lâcher du lest. Ils accentuent leur partenariat dans le cadre du Commonwealth. Somme toute, bien plus qu’un simple enjeu diplomatique et commercial, l’Afrique est vitale pour l’économie de ces grands pays. Saura-t-elle en tirer les dividendes ? Et, c’est à essayer de cerner les mécanismes de cet enlisement social, culturel, politique et économique que cette analyse voudrait se livrer.

En l’occurrence, nous allons nous atteler à expliciter certaines formes d’influence dont les modalités, sous couvert de communication ou d’information, faussent le jeu normal de la démocratie. Et ce, d’autant qu’elles mettent en œuvre des procédés d’influence moralement très douteux.

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1 Le Togo français proclame son indépendance le 27 avril 1960.
2 L’ex-Haute Volta, baptisée Burkina Faso sous Thomas Sankara, est une ex-colonie française. Il devient indépendant le 4 juin 1960.
3 Deux ans après son rattachement à la Communauté française, le Madagascar obtient son indépendance le 26 juin 1960.
4 Le Congo, ex-colonie belge, proclame son indépendance le 30 juin 1960.
5 La fragile République de Somalie date du 1er juillet 1960.
6 Le Dahomey, protectorat français, obtient son indépendance le 1er août 1960, sous le nom de Bénin.
7 Le Cameroun se prononce pour l’indépendance le 1er août 1960, après la suspension de la tutelle française en 1959.
8 Le Nigeria, État le plus peuplé d’Afrique noire, déclare son indépendance le 1er août 1960.
9 Le Niger accède à l’indépendance le 3 août 1960, sans consultation préalable de la France.
10 La Côte d’Ivoire, ex-colonie française, proclame son indépendance le 7 août 1960.
11 Le Tchad, ex-colonie française, devient indépendant le 11 août 1960.
12 La République centrafricaine, membre de l’Afrique-équatoriale française (AEF), accède à l’indépendance le 13 août 1960.
13 Le Gabon, membre de l’AEF, proclame son indépendance le 17 août 1960.
14 Le Sénégal, pays du chantre de la négritude, Léopold Sédar Senghor, devient indépendant le 20 août 1960.
15 Le Mali, ex-Soudan français, proclame son indépendance le 22 septembre 1960, sous le nom de Mali.
16 La Mauritanie, membre de l’Afrique-Occidentale française (AOF), accède à l’indépendance le 28 novembre 1960.
17 Anne-Cécile Robert, « Un enjeu mondial », in « Le Monde diplomatique. Manière de voir » , n° 108, p. 4
18 Anne-Cécile Robert, op. cit., p. 4 : « La France, notamment, soutient financièrement, diplomatiquement ou militairement des régimes prévaricateurs (Tchad, Gabon) au mépris de la volonté des populations locales – ce qui ne l’empêchera pas, en 2010, de fêter pompeusement une « année de l’Afrique » à l’occasion de l’anniversaire des indépendances de 1960 ».
19 Cf. Elikya Mbokolo, « L’Afrique doit produire sa propre vision de la mondialisation », in « Africultures », n° 54, 2003, cité dans Ibidem, p. 4 .
20 Ibid.
21 Ibid. Il s’agit d’une boutade africaine, qui relate ce paradoxe d’une Afrique « qui attire les regards sans exprimer ses vues ».
22 Voir Colette Braeckman, « La Belgique doit-elle demander pardon au Congo ? », in « Le Soir », lundi 3 mai 2010, p. 14 : « Ce qui est sûr, c’est que malgré ses aspects modernisateurs, la colonisation belge fut une entreprise de domination d’un peuple par un autre. Elle fut aussi inspirée par un sentiment de supériorité, largement partagé dans l’Europe de l’époque, qui engendra un comportement paternaliste et empêcha de saisir à temps les aspirations des Congolais. Au lieu de battre une coulpe inutile, ne serait-il pas plus intéressant de s’interroger, aujourd’hui, sur les séquelles que ces rapports humains si longtemps biaisés ont laissées, là-bas et ici ? Le sentiment de dépendance d’un côté, la «diplomatie de l’injonction » de l’autre ? ».
23 Ibid., p. 5.


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