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Alimentation low cost

Le prix à payer

Analyse n°328 de Dounia Tadli - avril 2018


À la fin du mois de janvier 2018, une foule agitée s’engouffre dans un Intermarché. Certains sont encore engourdis par la longue nuit hivernale passée devant le bâtiment. Bousculades, cris, altercations… Ce qui aurait pu être un happening visant à dénoncer la société de consommation n’en est qu’une triste illustration. La chaîne de distribution a lancé, dans plusieurs de ses magasins français, une promotion "immanquable" : des pots de Nutella (950 grammes) à 1,41 euro au lieu des 4,70 euros habituels, soit une réduction de 70 %. S’en sont suivies émeutes, voire bagarres avec interventions des forces de l’ordre.1

Un événement de la sorte interpelle. Dans quel genre de société les citoyens en viennent-ils aux mains pour accéder à un mélange douteux d’huile de palme et de sucres visant à le rendre dangereusement attractif pour les papilles, à un prix promotionnel tout aussi inquiétant que sa composition ? Alors que le Nutella a mauvaise publicité2, une telle promotion ne vise-t-elle pas sournoisement les publics défavorisés, trop contents de pouvoir, pour une fois, goûter à ce pur "bonheur à tartiner" ?

Dans notre dernière publication, nous montrions que la consommation alternative au système dominant pouvait constituer un moyen de distinction pour certains individus issus de la classe dominante.3 En expliquant les mécanismes menant au malaise de nos publics d’éducation permanente se rendant à des réunions de "Transition", nous mettions en avant les aspects plus culturels et sociaux, laissant de côté les facteurs économiques. Manger autrement n’est, effectivement, pas qu’une question d’argent : temps et énergie disponibles sont indispensables à ces pratiques (se procurer des produits frais et locaux, les cuisiner, participer à des réunions de Transition…). Mais à l’image des émeutes pour la plus célèbre des pâtes à tartiner, il nous semble qu’une réflexion autour du prix de l’alimentation ne peut être éludée. Le frein financier est effectivement régulièrement abordé dans nos ateliers d’éducation permanente en consommation durable :

Manger sain, c’est cher (...). Ça demande une énergie. Si tu ne veux pas changer tes habitudes, c’est cher.

Participante, Liège, 2018

Les participants se sentent coincés. Ils n’ont pas le choix, les moyens financiers, ni les moyens de transport.

Animatrice CPCP, Dour, 2016

Toutefois, il est intéressant de mettre ces propos en perspective avec les paroles d’un agriculteur : "Le cher et le pas cher, ça se discute. Il faut comparer des choses comparables et surtout ne plus dire simplement 'cher' mais 'trop élevé par rapport à ce que je peux – ou veux – mettre…' ".4

Les intérêts des uns et des autres sont compréhensibles : les mangeurs cherchent à consacrer une part de budget jugée raisonnable dans leur alimentation, tandis que les producteurs désirent légitimement être rémunérés correctement pour leur travail. Manger des produits sains, locaux, vides d’intrants et remplis de sens, coûte-t-il nécessairement plus cher ? L’alimentation low cost ne fait-elle pas l’économie dangereuse de la prise en compte des externalités négatives ? Finalement, quels mécanismes influent sur la fixation d’un prix, aux niveaux public et privé ?

Nous tenterons d’esquisser une réponse à ces questions en remettant en perspective notre perception du prix de la nourriture, sans toutefois réaliser une étude économique poussée qui dépasserait le cadre de la présente publication. En commençant l’analyse par une remise en contexte du rapport contraignant à la nourriture, de la globalisation économique ainsi que du danger de la financiarisation des matières premières, nous montrerons à quel point les prix se sont détachés de la valeur réelle des aliments. Les prix bradés masquent également une série de subventions, notamment à travers la Politique agricole commune (PAC), ainsi que des jeux de négociations (inégales) par le secteur privé, comme nous le verrons dans le second point. Nous montrerons finalement que cette alimentation à première vue low cost cache une série d’externalités négatives – environnementales, sanitaires, sociales, mais aussi éthiques – non prises en compte.

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1 « Émeutes à cause d’une promo sur le Nutella : le fabricant déplore l’action de la chaîne Intermarché », La Libre, 26 janvier 2018, [en ligne :] http://www.lalibre.be/actu/international/emeutes-a-cause-d-une-promo-sur-le-nutella-le-fabricant-deplore-l-action-de-la-chaine-intermarche-video-5a6b2f8ecd70b09cefdf4d9b, consulté le 27 janvier 2018.
2 En témoigne la récente campagne en réponse aux détracteurs. Voir « Nutella. On ne va pas tourner autour du pot », 2018, [en ligne :] https://parlons-qualite-be.nutella.com/fr-be/parlons-qualite#7-ingredients, consulté le 28 mars 2018.
3 D. Tadli, Transition et simplicité volontaire… une solution pour ceux qui n’ont pas d’option ?, Bruxelles : CPCP, «Au Quotidien », 2018.
4 D. Parizel, La question du prix au coeur de la relation producteurs/consommateurs, Jambes : Nature & Progrès Belgique, « Étude », 2014.


Dounia TADLI est titulaire d’un master en anthropologie, spécialisée dans les relations humains-environnement.

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