Pour notre atelier de février 2025, nous actualisons notre outil pédagogique, et mentionnons donc le texte finalement adopté en mai 2024 [5]! Bien qu’insuffisant, l’Europe est donc pionnière en la matière. Elle veut contraindre les entreprises à respecter les êtres humains et l’environnement, bref à ne pas pouvoir tout détruire sans en être tenues responsables. Waouh ça fait du bien d’avoir l’occasion de passer ce genre de messages positifs …Lors de l’animation, nous expliquons donc fièrement aux personnes présentes, que certains combats évoluent positivement.
MAIS, parce qu’il y a un MAIS vous vous en doutez... cet enthousiasme fut de courte durée car le 26 février nous découvrons que la Commission fait une proposition « Omnibus ». Elle remet en cause le devoir de vigilance ainsi que deux autres mesures pionnières en matière de durabilité faisant partie de la stratégie européenne de long terme amorcée en 2019, du Green Deal [6].
Il s’agit de la CSRD, une directive imposant aux grandes entreprises de publier des données sur la durabilité de leurs activités et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Dans tous les cas, il s’agit d’assouplir les mesures et de réduire le nombre d’entreprises concernées par ces règlementations. Moins d’un an après le vote du DDV, la marche arrière est alors enclenchée. Au nom de quoi ? De la « simplification bureaucratique » qui grève l’économie et qui empêche nos entreprises européennes de se développer et de concurrencer les autres puissances. Rappelons tout de même que selon
« l’évaluation faite par la précédente commission […] : la compétitivité de l’UE réside dans sa capacité à fournir un environnement réglementaire stable dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, axé sur la durabilité et la transition verte – autant d’éléments de plus en plus demandés par les consommateurs mondiaux » [7].
Mais, trop peu était déjà trop selon Benjamin Haddad , ministre délégué en charge de l’Europe en France, « Nous ne défendrons pas l’écologie en Europe en affaiblissant nos entreprises et agriculteurs dans la concurrence face aux Américains et Chinois », estime-t-il, évoquant une forme de « pragmatisme » [8]. Le « pragmatisme » semble d’ailleurs être un mot à la mode en Belgique aussi ! Il est utilisé dans la déclaration de politique régionale du gouvernement wallon et dans l’accord de la coalition Arizona. Il nous donne l’impression que les politiques libérales à venir sont les seules réponses réalistes aux défis tels que le changement climatique, faisant alors passer les mesures écologistes ou sociales pour des utopies déconnectées de la réalité.
Au niveau européen, ce « pragmatisme » est également partagé par différents groupes politiques dont l’extrême droite, qui accompagnée de lobbys représentant les multinationales a fait pression pour déstabiliser le Green Deal. D’ailleurs, Jordan Bardella, président du groupe européen « Patriotes pour l’Europe » (PfE) – parti rassemblant aussi des membres du Vlaams Belang – affirme que stopper le Green Deal « est une réaction aux mesures incroyablement attrayantes que Donald Trump met en place pour l’économie et les entreprises [américaines]>»[9]. Si on y ajoute les récentes prises de décision du Parti Populaire Européen (PPE), le parti d’Ursula Von der Leyen, on est en droit de se questionner sur l’avenir du Green Deal et sur la pente glissante que l’Europe semble adopter. Une inspiration tout droit venue des États-unis peut-être ?
Revenons un peu en arrière (nous aussi) : il faut croire que parfois le « c’était mieux avant » est finalement une locution avant-gardiste. Cette directive sur le devoir de vigilance a été créée sous la pression d’ONG, notamment le CNCD 11.11.11 pour obliger les entreprises actives sur le marché de l’UE à mieux respecter l’environnement et les droits humains tout au long de leur chaîne de valeur. Et, si son détricotage inquiète, les exigences de la proposition de directive (comme expliqué ci-dessus) avaient pourtant déjà été revues à la baisse, notamment sur la cible visée. Effectivement, au lieu de cibler les entreprises de plus de 500 employés réalisant 150 millions de chiffres d’affaires, elle n’était finalement plus d’application que pour les entreprises employant 1000 personnes et réalisant 450 millions de chiffres d’affaire, c’est-à-dire 0.05% des entreprises actives sur le marché de l’UE [10]. Nous sommes alors en droit de nous questionner sur la nécessité de simplifier la charge administrative de cette catégorie d’entreprises : à savoir, les plus outillées pour faire face à ces exigences… « des études ont montré que l’argument de la charge administrative ne tenait pas la route : seules les plus grandes multinationales sont concernées, et le coût pour ces dernières est proche de zéro »[11].
Aujourd’hui, l’Europe est à un tournant, et ce, à bien des niveaux : économique, climatique, sécuritaire, etc… Les défis sont majeurs. Reste à savoir quel chemin l’Europe va-t-elle décider d’emprunter ? Avec le Green deal, l’objectif était à la fois d’atteindre la neutralité climatique d’ici 2050 tout en étant une stratégie de croissance économique. Deux objectifs difficilement conciliables et pour lesquels la refonte de nombreux secteurs est indispensable dont celui de l’industrie. Mais certains ont visiblement des lobbys assez puissants et des alliés dans l’hémicycle. Plusieurs chemins se profilent alors à l’horizon, dont certains sont plus plausibles que d’autres… Un chemin tout tracé où la croissance économique reste le moteur principal et où les objectifs climatiques vont être affaiblis petit à petit sous couvert de mesures d’austérité ou pour s’aligner sur les délires en cours outre Atlantique? Ou alors, l’Europe va-t-elle à un moment donné oser envisager que ce n’est pas la seule voie possible ? Que la croissance verte est un mirage et que la décroissance [12] nous la subirons de toute manière ? Ralentir ou périr [13] … La deuxième option reposera sur la mobilisation populaire, la contestation et la désobéissance civile qui apparaissent aujourd’hui comme seuls recours contre le rouleau compresseur libéral qui écrase tout sur son passage.
Si au sein de notre thématique « consommation durable », nous prônons un modèle de société où la croissance économique ne doit plus primer sur le bien-être de la population et l’environnement, c’est notamment le filigrane de nombre de nos ateliers d’éducation permanente. Dans l’ensemble des sujets que nous abordons avec notre public, la conclusion est souvent la même pour les participant·e·s : que pouvons-nous faire nous en tant que citoyen·ne·s pour lutter contre ces entreprises qui détruisent tout sur leur passage ? Comment faire quand on a peu de moyens pour ne pas avoir l’impression de cautionner tout cela en achetant des produits bon marché produits par ces multinationales ? S’informer, échanger, se mobiliser c’est pour nous déjà un bon début. L’éducation permanente a son rôle à jouer !
1 https://www.cpcp.be/ekichoc-semaine-du-commerce-equitable/
2 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52022PC0071
3 Confédération européenne des Syndicats, « Analyse initiale par la CES de la proposition de directive de la Commission sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et mise à jour de la feuille de route pour les actions de la CES en 2022-2023 », 25 mars 2022, [en ligne :] https://www.etuc.org/fr/document/analyse-initiale-par-la-ces-de-la-proposition-de-directive-de-la-commission-sur-le-devoir, consulté le 5 mars 2025
4 S.Wintgens, « Devoir de vigilance : une directive européenne nécessaire mais pas assez ambitieuse ! », 25 mai 2022, [En ligne :] https://www.cncd.be/Devoir-de-vigilance-une-directive, consulté le 5 mars 2025
5 « Austerity déjà-vu : the return of the wrong economic medicine », Industriall-europe.eu, 18 novembre 2024, [en ligne :] https://news.industriall-europe.eu/Article/1163 « Adoption finale de la Directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises », AchACT, 24 mai 2024, [En ligne :] https://www.achact.be/adoption-finale-de-la-directive-europeenne-sur-le-devoir-de-vigilance-des-entreprises/, consulté le 5 mars 2025
6 « L'Europe abandonne le devoir de vigilance et démantèle le Green Deal. La Commission européenne fait machine arrière sous couvert de « simplification administrative » [ Communiqué de presse], CNCD, 26 février 2025, [En ligne :] https://www.cncd.be/L-Europe-abandonne-le-devoirde?, consulté le 5 mars 2025
7 « Non à l’omnibus ! Plus de 160 organisations s’opposent à une remise en question de la directive sur le devoir de vigilance », Sherpa, 14 janvier 2025, [En ligne :] https://www.asso-sherpa.org/non-a-lomnibus-plus-de-160-organisations-sopposent-a-une-remise-en-question-de-la-directive-sur-le-devoir-de-vigilance , consulté le 13 mars 2025
8 V.Ledroit, « Au nom de la compétitivité des entreprises, la Commission propose de simplifier certaines normes européennes », 26 février 2025, [En ligne :] https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/au-nom-de-la-competitivite-des-entreprises-la-commission-propose-de-simplifier-certaines-normes-europeennes/, consulté le 5 mars 2025
9 L.Geslin & T.Bourgery-Gonse, “Le Rassemblement national propose une alliance au PPE pour mettre fin au Green Deal”, 27 janvier 2025, [En ligne :] https://www.euractiv.fr/section/politique/news/le-rassemblement-national-propose-une-alliance-au-ppe-pour-mettre-fin-au-green-deal/, consulté le 5 mars 2025
10 S.Wintgens, « Forces et faiblesses de la directive sur le devoir de vivilance », 2 mai 2024, [En ligne :] https://www.cncd.be/Forces-et-faiblesses-de-la, consulté le 5 mars 2025
11 « L'Europe abandonne le devoir de vigilance et démantèle le Green Deal. La Commission européenne fait machine arrière sous couvert de « simplification administrative » »[ Communiqué de presse du CNCD], op.cit.
12 Pour oser imaginer un futur décroissant, n’hésitez pas à lire notre revue disponible en ligne et en version papier sur demande https://www.cpcp.be/publications/tumult2_decroissance/
13 https://www.seuil.com/ouvrage/ralentir-ou-perir-timothee-parrique/9782021508093 .
Louise Vanhèse est conseillère en développement durable de formation ainsi que diplômée d’un master interuniversitaire en transitions et innovations sociales. Elle coordonne la thématique Consommation durable et est animatrice dans le Pôle Éducation permanente chez Citoyenneté & Participation.