Analyse n°333 de Marie-Sarah Delefosse - juillet 2018
Le mal-être s’est installé petit à petit. Le bruit et l’agitation des enfants devenaient exaspérants. J’avais l’impression que mes enfants devenaient horribles, qu’ils faisaient exprès de désobéir, exprès de se disputer, exprès de faire des bêtises… juste pour m’embêter ! Et moi je n’arrêtais pas de crier sur eux, j’en venais à les détester. Je me sentais enfermée. J’avais l’impression qu’il n’y avait pas d’issue possible "pour échapper à mes terribles enfants" : reprendre le travail ? Je ne m’en sentais pas capable. Je subissais. Je détestais ma vie. J’avais l’image d’un canoë qui essaie en vain de remonter le courant d’un torrent furieux. Et puis toutes les mamans de mon entourage me semblaient bien meilleures que moi : l’éternel sourire aux lèvres, le gâteau fait maison à l’heure du goûter, les enfants qui font plein d’activités, la maison toujours propre et bien rangée. J’avais le sentiment d’être nulle à côté avec mes surgelés et mes pâtes, mon tas de linge sale et de repassage énorme, mes enfants odieux…1
La première fois que votre bébé vous dit "Maman", c’est le plus beau jour de votre vie. Aujourd’hui, ce n’est plus un mot que je suis heureuse d’entendre. "Maman", c’est devenu un mot de torture. 2
Ces deux témoignages reflètent un phénomène méconnu : le burn-out parental. Mis en lumière pour la première fois dans les années 1980 chez les mères d’enfants malades, ce syndrome d’épuisement parental a longtemps été passé sous silence, comme s’il était tabou. Nous ne pouvons d’ailleurs qu’imaginer combien il est difficile, au sein d’une société qui érige la parentalité au rang de "plus beau métier du monde", d’oser dire que nous ne supportons plus nos enfants, que nous ne sommes plus capable de nous en occuper et que nous avons besoin d’aide. Ce tabou explique peut-être le désintérêt des chercheurs pendant deux décennies pour ce sujet (puisqu’ils ne s’emparent du sujet qu’à la fin des années 2000) et qu’il soit encore peu connu aujourd’hui. Méconnu, mais pas anodin pour autant, puis qu’actuellement en Belgique, un parent sur cinq ressentirait souvent ou en permanence un sentiment de burn-out.3 Selon une étude récente de l’UCL, ils seraient d’ailleurs 5 % des parents à souffrir de ce syndrome, tandis que 8 % présenteraient un risque important de le développer.4 Oui, mais… être parent me direz-vous, est un défi qui est, et a toujours été, épuisant. Doit-on pour autant qualifier cet épuisement de syndrome ? Ne serait-ce pas un simple effet de mode ?
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1 Camille (32 ans, 3 enfants), citée par L. D’Hérouville, « L’épuisement maternel ou le burnout de la mère de famille», Maman vogue, s. d. [en ligne :] https://www.mamanvogue.fr/temoignage-lepuisement-maternel-burn-out-de-mere-de-famille/, consulté le 27 mars 2018.
2 Témoignage anonyme cité dans « Témoignages », Parentàbout.be, s. d. [en ligne :] http://www.parentabout.be, consulté le 27 mars 2018.
3 A. Hosdey-Radoux, M. Paillet, A. Woelfle, D. Chabbert (dir.), Le baromètre des parents 2017, Bruxelles : La Ligue des Familles, 2017.
4 V. Menétrey, « Isabelle Roskam : « Il faut parfois passer par un burn-out pour accepter de ne pas être le parent parfait. » Migros Magazine, 2 février 2017, [en ligne :] https://www.migrosmagazine.ch/isabelle-roskam-il-faut-parfois-passer-par-un-burn-outpour-accepter-de-ne-pas-etre-le-parent-parfait, consulté le 27 mars 2018.
Marie-Sarah Delefosse est titulaire d’un master en sciences psychologiques à orientation « organisation, travail et société ». Elle est directrice générale de Citoyenneté & Participation