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Les femmes, leur image, le cinéma

Analyse n°364 de Lise Clavier - février 2019


En France, seulement 20 % des réalisateurs sont des réalisatrices. À Hollywood, elles ne représentent que 7 % des réalisateurs, 10 % des scénaristes et 21 % des producteurs.1 Autrement dit, dans le meilleur des cas, les femmes représentent moins d’un quart des professionnels du cinéma ! Ces chiffres consternants ont été très largement évoqués ces derniers temps, tout particulièrement lors du festival de Cannes en mai dernier, au cours duquel des voix se sont élevées pour s’indigner contre cet état de fait. En effet, le 12 mai 2018, 82 femmes ont franchi le tapis rouge afin de protester contre le manque de films réalisés par des femmes à l’affiche du festival depuis ses débuts, et in fine, contre le manque de place laissée aux femmes dans la réalisation cinématographique. 82, symbole du nombre de réalisatrices en compétition depuis la première édition, en 1946 – contre 1 688 hommes. La présidente du jury 2018, Cate Blanchett elle-même, se fait le portevoix de cet appel 2, en concluant la montée des marches de ces 82 femmes par ces mots : « il est temps que toutes les marches de notre industrie nous soient accessibles »3.

Si les femmes sont peu présentes derrière les caméras, qu’en est-il du devant de la scène ? De nombreux rôles sont tenus par des femmes, mais peu sont majeurs : dans seulement 23 % de films, le rôle principal est proposé à une femme. « Dans les scénarios que je lis, je déplore souvent que les femmes soient réduites à des amoureuses évaporées »4 pointe d’ailleurs Catherine Corsini, réalisatrice, scénariste et actrice française. En effet, « selon l’organisme de statistiques, Opus Data, les clichés sexistes sont même encore plus importants au cinéma que dans la vraie vie. Les actrices sont majoritairement infirmières, secrétaires, enseignantes, serveuses, caissières, vendeuses. Les personnages féminins sont la plupart du temps dépendants d’un homme. »5 Pour comprendre ce phénomène, des spécialistes du data journalisme du site américain The Pudding ont analysé la place des genres dans plus de 2 000 scripts de films datant de 1929 à 2015. Qu’y découvre-t-on ? Les didascalies les plus souvent indiquées aux actrices sont « se blottir », « glousser », ou encore « sangloter », tandis que celles qui concernent les hommes sont « attacher », « galoper », « tirer », « tuer ».6 Il n’est pas étonnant dès lors que le fruit de ces actions mette en exergue une image simplette de la femme, puissante de l’homme, imposant ainsi implicitement une catégorisation voire une hiérarchie des genres. Les clichés ont la vie dure au cinéma !

En partant de ce constat, la dessinatrice Alison Bechdel imagine dans l’une de ses BD 7 un test remettant en cause la place des rôles féminins au cinéma. Pour réussir ce test, trois cases sont à cocher : le film doit comporter au moins deux personnages féminins ; ces personnages doivent être nommés par leur prénom ; lors d’une discussion leur sujet de conversation doit traiter d’autre chose que d’un homme. Une plateforme numérique, Bechdel Test Movie List,8 évalue ainsi pas moins de 4 000 films. Parmi ceux-ci, 40 % d’entre eux ne remplissent pas les critères du test, 46 % des films sortis depuis 1995 et uniquement écrits par des hommes échouent au test.9 Si un film ne présentant pas de personnage féminin n’en est pas pour autant sexiste, l’écart mis en avant entre les deux sexes par le test de Bechdel est significatif et interpellant.

Faible présence des femmes derrière les écrans, représentation stéréotypée à l’écran… Comment peut-on expliquer cela ? L’analyse des dialogues des scripts nous permet de poser un constat : les hommes monopolisent toujours plus le dialogue que les femmes. En effet, dans les comédies romantiques, 58 % des dialogues sont masculins, chiffre qui s’élève à 60 % dans les films Disney
(et ce même quand l‘intrigue tourne autour d‘un personnage féminin – dans Mulan, par exemple, où Mushu, son dragon protecteur accapare 50 % du dialogue en plus que Mulan). De plus, les dialogues révélant des informations sur les acteurs, on remarque que les femmes ont majoritairement entre 22 et 31 ans, quand la moyenne des hommes se situe entre 42 et 65 ans.10 Les jeunes femmes s’amourachent donc souvent d’hommes matures… Ce dernier élément démontre la large palette de stéréotypes de genre déployée par des scénaristes, trop souvent masculins !

Clichés sexistes, peu de présence à l’écran, peu de temps de parole, jeunesse et beauté… Le cinéma semble s’être attaché à forger une certaine image de la femme depuis ses débuts. Une question se pose toutefois : le cinéma a-t-il influencé notre société, ou au contraire, en serait-il le reflet ?

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1 S. Benamon, « Quelle place pour les femmes dans le cinéma ? », L’Express, 21 octobre 2015, [en ligne :] https://www.lexpress.fr/culture/cinema/quelle-place-pour-les-femmes-dans-le-cinema_1724264.html, consulté le 3 décembre 2018 ; M. Lebret, « La place des femmes dans les films s’améliore, mais très peu », Slate.fr, 19 février 2015, [en ligne :] http://www.slate.fr/story/
98143/place-femmes-films, consulté le 3 décembre 2018.
2 Cette montée des marches par 82 femmes du métier, dont tous les membres féminins du jury 2018, visait non seulement à dénoncer le manque de représentation des femmes, mais également à appeler à une égalité salariale entre les deux sexes.
3 « Canne 2018 : 82 femmes montent les marches pour “l’égalité salariale“ », LeMonde.fr, 13 mai 2018, [en ligne :] https://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/video/2018/05/13/cannes-2018-82-femmes-montent-les-marches-pour-l-egalite-salariale_5298242_766360.html, consulté le 3 décembre 2018.
4 C. Corsini, interviewée par S. Benamon, op. cit.
5 S. Benamon, op. cit.
6 J. Sigles, R. Goldenberg, A. Thomas, H. Anderson, « She Giggles, He Gallops. Analyzing gender tropes in film with screen direction from 2,000 scripts », The Pudding, 2017, [en ligne :] https://pudding.cool/2017/08/screen-direction/, consulté le 3 décembre 2018.
7 A. Bechdel, The essential, Dykes to watch out for, Boston : Houghton Mifflin Harcourt, 2008 (1st ed. : 1983).
8 « Bechdel Test Movie List », Bechdeltest.com, s. d., [en ligne :] http://bechdeltest.com, consulté le 21 octobre 2018.
9 C. Boinet, « 4000 films ont passé le test de Bechdel… Et 40 % ont échoué », Les Inrockuptibles, 29 janvier 2016, [en ligne :] https://www.lesinrocks.com/2016/01/29/cinema/40-des-films-sont-sexistes-11802018, consulté le 3 décembre 2018 ; Senscritophiliste, « Le Test de Bechdel », Sens Critique, s. d., [en ligne :] https://www.senscritique.com/liste/Le_Test_de_Bechdel/85999, consulté le 3 décembre 2018.
10 H. Anderson, M. Daniels, « Film Dialogue from 2000 screenplays, broken down by gender and age », The Pudding, April 2016, [en ligne :] https://pudding.cool/2017/03/film-dialogue, consulté le 3 décembre 2018.


Lise Clavier est étudiante en troisième année de licence en arts du spectacle à l’Université catholique de Lille.

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