Quand même les murs crient

"Laissez les filles tranquilles"

Analyse n°368 de Raïssa M'bilo - mars 2019

En octobre 2017, le producteur Harvey Weinstein est emporté par une tempête médiatique provoquée par des révélations de harcèlements et de viols commis sur des actrices au cours des dernières décennies.¹ D’autres célébrités sont happées à sa suite par le scandale. Au-delà du séisme hollywoodien, le mouvement devient viral et les dénonciations se multiplient visant, entre autres, collègues masculins et supérieurs hiérarchiques.² Le harcèlement semble être devenu un sujet visible et abordable.

Pourtant, la manière dont le sujet est abordé dans la presse restreint la compréhension des rapports de domination entre sexes. Les agressions sexuelles et le harcèlement ne sont en effet que deux illustrations des violences faites aux femmes. Le sexisme dans l’espace public – qui a fait l’objet d’une étude de Vie féminine – en est un autre exemple. Comment se fait-il que, malgré la loi contre le sexisme, les femmes ne puissent toujours pas prendre possession de l’espace public en toute quiétude ? Outre l’éducation, quels moyens efficaces et durables peuvent-ils être mis en place pour combattre le sexisme et ses avatars ? Adoptant le prisme intersectionnel, une membre de Vie Féminine, Laetitia Genin, nous parle des réalités occultées par le scandale Weinstein et de la parole des femmes qui s’est libérée par la suite.

Le caractère vip de cette affaire ayant mis le feu aux poudres hiérarchise le discours des femmes harcelées : ce sont les révélations des femmes célèbres qui ont permis de rendre audibles les dénonciations des autres femmes. Même si, pour beaucoup de femmes, il est difficile de se sentir directement concernées par la médiatisation de l’affaire Weinstein, celle-ci a pourtant eu un impact positif : la parole de la gent féminine a pu se libérer dans son ensemble et être entendue. Comme le souligne Laetitia Genin, coordinatrice nationale en charge des projets jeunes femmes au sein de l’ASBL Vie Féminine ³ :

Ce mouvement a donné une résonance à une réalité que les femmes dénonçaient déjà, depuis des années ! Ça fait un paquet d’années que les femmes avec lesquelles on travaille au quotidien, un peu partout en Wallonie et à Bruxelles, déposent sur la table et dans les locaux de Vie Féminine des vécus et des témoignages de cet ordre-là et donc ça fait longtemps que, non seulement les femmes le crient sur la place publique, mais aussi que les associations de femmes et les associations féministes s’en font le relais. Donc pour nous, ce n’est pas du tout nouveau. La différence ici, c’est qu’il y a vraiment eu un écho médiatique nouveau et un écho médiatique dans lequel les femmes ont pu se retrouver, et grâce auquel elles ont pu entendre des témoignages similaires aux leurs. Là, elles voient qu’il y a une attention médiatique et populaire qui est accordée à certaines violences, à certaines réalités qu’elles rencontrent au quotidien.

Le harcèlement existe pourtant depuis longtemps dans la vie des femmes, il n’est, comme nous le verrons, qu’une des variantes du sexisme. Ce dernier se décline sous différentes formes donc et se manifeste en différents lieux, privés ou publics :

Ce qui a surtout été médiatisé, c’est la question du harcèlement, principalement, le harcèlement sexuel. On l’a appelé comme ça, on ne l’a pas – ou du moins, très rarement – appelé harcèlement sexiste.

Lire la suite de la publication