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Bonnes, chics, mauvais genre

Le harcèlement

Analyse n°319 de Raïssa M'bilo - novembre 2017


Nous sommes vendredi soir et mon cœur chavire entre un concert au festival des libertés, une soirée afro-rythmes à la Tricotterie, un concert de musique balkanique près du canal ou l’ouverture d’un café féministe. Bruxelles est le havre des soirées alter, bobo, gaucho et autres youkous1 aux dreads multicolores. Nous finissons par opter pour le bar féministe Un poisson sans bicyclette et les corps adossés sur la façade avant de l’immeuble schaerbeekois, nous indiquent que nous sommes arrivées à bon port, prêtes à nous noyer dans la masse des vestes en jeans à col moumoute, des franges et des afros pour nous jeter sur des tapas végan et gratuits. L’immeuble n’a rien de particulier, les assiettes à tapas sont vides, les concerts sont terminés, seul le bruit des fumeurs nous vient de la cour intérieure éclairée à la lueur des bougies intimes. Avant de pousser la porte de la cour, nous tombons sur un panneau gigantesque à notre gauche, il y est inscrit : "une femme sans homme, c’est comme un poisson sans bicyclette". Je trouve ça étrange, voire dérangeant. Bar féministe ? Mes colocataires masculins n’ont eu de cesse d’exprimer leur mauvaise foi à ce sujet, râlant surtout parce qu’ils se sentaient ostracisés par ce terme apparemment exclusif. Ma collègue dira : "quoi, un bar où on ne peut pas parler de foot, c’est ça ?".

Féministe, ce terme fourre-tout, flou et malmené tant par ceux qu’il épuise que par ceux qui le revendiquent, que signifie-t-il réellement ? Le féminisme a-t-il encore un rôle à jouer aujourd’hui ? Soit on le hurle trop fort, soit on le dit du bout des lèvres… J’avoue qu’il ne m’attire pas du tout, j’ai peur d’être stigmatisée en disant que je suis féministe. Je ne me sens pas autant dans la radicalité que certaines femmes sur les réseaux sociaux, qui perdent à mes yeux toute crédibilité en versant parfois dans la misandrie la plus ridicule. Leurs raccourcis me dérangent, leurs conclusions simplistes sur des thématiques complexes et leurs slogans préchauffés me dérangent. Pourtant, on ne peut pas ne pas se sentir plus femme que d’habitude quand éclate l’affaire Weinstein2 et quand sont brandies sous notre nez les publicités pour sugar daddies.3 Tous ces scandales révoltent notre esprit bien-pensant empreint d’idées de dignité, d’égalité et de liberté. En somme, toutes ces valeurs opposées à un capitalisme de plus en plus violent qui fait craquer le vernis d’une société judéo-chrétienne patriarcale et en dévoile de plus en plus bruyamment les inégalités grandissantes et leur lot de précarité qui est à l‘origine, entre autres, de la réification de la femme. C’est cette culture qui la légitime, qui inocule chez certains hommes un sentiment de supériorité et d’impunité qui leur permet de se comporter comme si la femme était un dû. Je voulais me rappeler ce qu’était le féminisme et ensuite je me suis demandé ce qu’était réellement le harcèlement en général, en rue et au travail. Ce mot rejaillit actuellement dans beaucoup de débats, la mort de Simone Veil et les délations de pervers en tous genres y sont peut-être pour quelque chose. J’ai des histoires à vous raconter moi aussi, peut-être influencée par la vague du #metoo. Est-ce que c’est féministe ou catharsisant ? C’est quoi le féminisme, aujourd’hui ? Que reste-t-il du féminisme, quelques mornes diatribes sur le droit d’avoir des poils ou des plaidoyers plein de trémolos dans la voix sur la capacité d’une femme à ouvrir seule les portières ? À l’heure où le harcèlement est enfin médiatisé, sorti de son écrin de tabou, je me suis demandé ce qu’était juridiquement le harcèlement. En rue, au cinéma, au travail. Au-delà de l’émoi, que dit réellement le droit belge et comment nous protège-t-il ?

Comment distingue-t-on un compliment, la séduction, d’un harcèlement ? Enfin, quelles sont les mesures prises par le législateur pour protéger les femmes qui veulent juste se sentir en sécurité dans les rues de leur ville ou se balader sans qu’une injonction bienveillante ou malvenue ne viole leur tranquillité ?

On cite souvent Beauvoir en papesse du féminisme et elle partage le panthéon avec Simone Veil. Dans un tout autre style, les Pussy Riots et les Femen semblent être les héritières de la lutte, ce qui doit arranger ceux qui se plaisent à penser que le féminisme est un combat mené par des furies rescapées, aigries et toutes lesbiennes, qui n’a plus de sens aujourd’hui. Mais comme diraient mes colocataires et ma collègue, "ça veut dire quoi exactement, “ féministe ”, aujourd’hui ?".

 

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1 Youkou : terme estudiantin néo-louvaniste désignant un groupe d’individus caractérisé par un style de vie et parfois vestimentaire, reflétant des convictions éco-responsables et citoyennes. Le youkou tend à privilégier la vie en communauté basée sur des valeurs telles que l’ouverture, le partage, l’échange et l’entraide. Inscrit dans son temps, il intègre les nouvelles technologies dans sa dynamique de changement politique, économique, philosophique et social.
2 L’affaire Weinstein est un scandale qui a éclaté à la suite d’accusations d’agressions sexuelles sur les personnes de plusieurs mannequins, actrices, assistantes, employées, productrices ; imputées au producteur hollywoodien, Harvey Weinstein, en octobre 2017. À la suite de ces révélations, des mouvements planétaires ont été relayés dans les réseaux sociaux comme, par exemple : #metoo et #balancetonporc. L. Latil, « Affaire Harvey Weinstein : chronique d’un scandale planétaire », Le Figaro, 10 octobre 2017, [en ligne :] http://www.lefigaro.fr/cinema/2017/10/17/03002-20171017ARTFIG00164-affaire-harvey-weinstein-chronique-d-un-scandale-planetaire.php, consulté le 10 novembre 2017.
3 Le sugar daddy est généralement un homme riche, recherchant la compagnie d’une jeune personne au physique avantageux : le sugar baby. En échange de son temps, le sugar daddy offre au sugar baby une rémunération compétitive et des cadeaux. Les relations sexuelles ne sont normalement pas comprises dans l’accord. Son pendant féminin existe aussi : la sugar mama. L. Morrish, « Témoignage d’une sugar baby : “ Ça m’a ouvert beaucoup de portes ” », konbini.com, s d., [en ligne :] http://www.konbini.com/fr/tendances-2/temoignage-sugar-baby/, consulté le 7 novembre 2017.


Raïssa M’bilo est chercheuse au CPCP. Elle est titulaire d’un master en droit à finalité Droit européen.

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