Analyse n°461 de Maïa Kaïss - juillet 2022
C’est au cœur des rencontres "Éducation Permanente" dans une association bruxelloise, au cours desquelles nous interrogeons les questions liées à la discrimination, que nous avons pu nous rendre compte de la méconnaissance du terme "grossophobie". Allons même un pas plus loin : nous avons pu prendre la mesure de l’ignorance pour certain·es qu’une discrimination pouvait s’opérer sur des éléments aussi visibles que ceux de la grosseur.
"Pas d’emploi parce qu’on est gros ? Je n’ai jamais entendu ça. Pour les noirs, les arabes, les femmes voilées oui, mais parce qu’on est gros ?"
C’est à partir de cette réalité que nous avons compris l’urgence ! Il était selon nous, selon les femmes1 avec lesquelles nous travaillons aussi, nécessaire de permettre aux discriminations à l’égard du poids de prendre leur place sur la scène publique. Comme deux compagnons inséparables le poids et les discriminations doivent pouvoir se faire entendre d’une même voix.
En effet, "Le poids est, aujourd’hui, une donnée qui nous définit. Il est mentionné sur les faire-part de naissance, comme s’il faisait partie de l’identité du nouveau-né" 2, il est donc essentiel de pouvoir le faire exister au-delà de sa (prétendue) réalité en kilogrammes. S’il prend autant de place dans la sphère publique, on imagine aisément que les dérives qui lui sont associées puissent peser aussi lourd.
Cet article aura pour premier objectif de placer la grosseur dans un contexte historique et culturel. De tout temps, en tout lieu, l’appréciation de certains traits physiques évolue. Nous verrons ensemble les grandes étapes de cette transformation et ce, spécifiquement en Europe. Dans un deuxième temps, nous tenterons de préciser en quoi le poids est ici un sujet d’analyse à part entière. Pour ce faire, il s’agira de définir et baliser le terme "grossophobie", mais aussi de pouvoir déjà réfléchir aux éventuels biais associés au traitement du poids, particulièrement lorsque la question de l’obésité est associée au sentiment de culpabilité et à la volonté. Ensuite, et afin de rendre nos propos plus tangibles, nous nous entretiendrons avec les éléments du quotidien : en quoi le poids peut-il être objet de discrimination ? De quelle discrimination parlons-nous ? Dans quels contextes ? En guise de focus supplémentaire nous prendrons le temps de décrire plus spécifiquement la grossophobie dans deux secteurs, celui de l’emploi ainsi que celui de la santé. Enfin nous conclurons sur des pistes de recommandations.
Il est entendu que cette analyse n’est pas une "ode à l’obésité", nous le verrons. Encore moins le reflet d’un certain universalisme du corps gros. Par ailleurs, il est intéressant de comprendre la construction sociale du "corps gros". Être gros reste aussi une histoire individuelle et c’est à prendre en compte lorsqu’on parle de lui.
Dans ce contexte, notre article vise à mettre en lumière les zones éventuelles d’inconforts et parfois, même souvent, d’injustices que rencontrent certaines personnes grosses dans leur parcours. Et dans le même temps de rendre visible l’invisible.
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1 Au cœur de notre travail d’Éducation Permanente, nous évoluons avec un groupe de femmes sur les questions des droits pour tous (spécifiquement pour les femmes). C’est lors de nos ateliers que le concept de discrimination a été abordé et nous a conduit à réfléchir aux différentes formes mais surtout à la pluralité des socles sur lesquels elles se basent. (Atelier Éducation Permanente avec l’ASBL GAFFI, Schaerbeek, 2021).
2 Marx, D., Perez-Bello, E., « Gros » n’est pas un gros mot. Chroniques d’une discrimination ordinaire, Paris : Librio, 2018, p.36.
Maïa Kaïss est titulaire d’un master en Anthropologie sociale et culturelle (ULB) ainsi que d’une agrégation en sciences sociales (ULB). Elle travaille sur les questions liées aux thématiques Famille, Culture & Éducation et Citoyenneté & Participation, chez Citoyenneté & Participation.