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Remettre l’homme au centre, une alternative humaniste

Analyse n°87 de Citoyenneté & Participation - juin 2010


Il n’est plus possible aujourd’hui de penser que l’on pourra, demain, continuer comme hier.

Cela n’est plus possible, premièrement, parce que les gens ne sont plus les mêmes qu’hier. Il y a un an et demi, ceux qui l’ignoraient encore ont fait une découverte traumatisante. Ils avaient appris à l’école que l’économie consistait à inventer, à innover, à produire des marchandises, à les vendre, à les consommer, à gagner de l’argent, à investir cet argent, et que tout cela était basé sur du concret, sur du réel. Tout à coup, ils ont eu une révélation. Ils se sont aperçus qu’à côté de l’économie réelle, il y a une économie virtuelle, différente, dont on ne parle pas à l’école, une économie où il ne s’agit pas d’imaginer, de produire, de consommer des marchandises. L’économie virtuelle, c’est de l’argent qui produit de l’argent, qui surfe sur de l’argent, qui fait un saut de mouton sur de l’argent… Alors qu’ils n’avaient pas encore intégré cette réalité, on leur a fait part d’un "détail" supplémentaire : l’argent que brasse cette économie virtuelle est cinquante fois plus importante que l’argent que brasse l’économie réelle.

Ce traumatisme intellectuel, les gens ne sont pas prêts de l’oublier. C’est une découverte qui s’est profondément inscrite dans leurs réflexions et dont ils tireront des conséquences. Ils ont constaté que cette économie virtuelle pouvait provoquer une explosion financière, une crise qui est, dans son origine, aussi brutale, sinon plus brutale, que celle de 1929. Heureusement, les conséquences économiques et sociales de cette crise ont été, elles, beaucoup moins brutales que celles de 1929 parce que nous avons pu tirer les leçons des crises précédentes. Cette fois les Etats ont réagi très vite alors que Roosevelt n’a été élu et pu mettre en œuvre son New Deal que trois ans après la crise de 1929.

Désormais, lorsque l’on discutera d’économie, on ne pourra plus se contenter de réciter, de décliner des dogmes et des discours stéréotypés. Les gens ont vu les mêmes personnes tenir, selon les contextes, des discours différents, qu’elles ne pensaient pas forcément, comme si elles se disaient : "Je suis là donc je dois dire ça, je suis là donc je dois dire ça, et je suis là donc je dois dire ça". Subitement, ceux qui plaidaient pour que l’État ne s’occupe plus de l’économie, se sont mis à affirmer que les Etats, par leur mobilisation financière considérable, avaient quand même permis de sauver la situation. Ils ne sont plus crédibles.

Si la crise n’a pas (encore ?) conduit à un cataclysme, c’est parce qu’on a jeté dans la fournaise des liquidités considérables, alors qu’on n’aurait jamais pu imaginer, il y a trois ans, qu’il soit possible d’injecter dans le système des emprunts et des crédits qui représentent 50.000 milliards de dollars (dont 30.000 milliards de dollars simplement pour l’OCDE). Hélas, ces liquidités ont été injectées sans que le système financier soit profondément transformé. Or, injecter des masses considérables dans un système qui reste fondamentalement spéculatif, cela signifie offrir de la dynamite potentielle à la spéculation.

Tout le monde a appris dans les classes d’économie que quand les actions montent, les obligations baissent, tandis que quand les obligations montent, il y a une crise boursière qui fait monter le cours de l’or. Or, ici, à part l’immobilier, qui est en chute libre parce que c’est une des raisons de la crise, toutes les autres bulles se sont mises à gonfler simultanément, jusqu’au début de la crise grecque qui a fait resurgir la méfiance sur les marchés. Forcément, tellement d’argent a été injecté que pratiquement toutes les bulles sont capables de gonfler en même temps, au point qu’un pays comme la Chine est devenue une bulle en elle-même. A la bourse de Shanghai, par exemple, les actions sont valorisées 40 fois le profit attendu des entreprises. Les actions des deux usines automobiles chinoises sont même valorisées 50 à 60 fois plus que les profits attendus de ces entreprises. Aujourd’hui, vous avez donc des pays qui sont devenus en soi des bourses spéculatives ou des bulles spéculatives.

Ce qui est nouveau, cependant, c’est que tout le monde comprend cela. Il y a encore deux ans, les gens ne comprenaient pas l’économie, certaines choses leur semblaient bien étranges, mais on leur expliquait que c’était compliqué et qu’il s’agissait une rationalité supérieure. On ne peut plus leur dire ça aujourd’hui. Les gens se sont aperçus que la rationalité supérieure était en fait de l’irrationalité. Je crois qu’il faut bien comprendre cela : on a face à nous une opinion publique au sens large, des gens à qui on ne pourra plus dire ce qu’on leur disait hier, et qui ont compris des choses qu’ils ne comprenaient pas précédemment.

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