Analyse n°202 de Maïlys Kahn - mai 2014
Sur les questions éthiques, la Belgique est souvent considérée comme le "laboratoire de l’Europe" 1, tant notre pays a été à la pointe sur différents sujets de société sensibles.
En 2002, la Belgique était le deuxième pays dans le monde, juste après les Pays-Bas, à autoriser un médecin à mettre un terme à la vie de son patient, à sa demande et sous certaines conditions. Cette loi reposait sur deux piliers : l’autonomie du patient (majeur ou mineur émancipé) d’une part, et une situation médicale sans issue couplée à une souffrance insupportable, d’autre part. La possibilité de prendre en compte la souffrance psychologique comme souffrance insupportable a eu pour effet de considérer de plus en plus l’euthanasie comme une "mort choisie", une réappropriation de sa fin de vie 2. Ce sont d’ailleurs ces euthanasies-là qui ont le plus été mises en avant par la presse 3, allant jusqu’à souligner l’atténuation, voire la disparition, du critère de la souffrance, au profit de celui du choix individuel : "j’ai opté pour l’euthanasie car je ne souhaitais pas souffrir"4.
Depuis le 28 février 2014, la loi a été "étendue" aux patients mineurs. Du moins, c’est de cette manière que les choses ont été présentées. Pourtant, "l’extension" telle qu’envisagée signifie une modification complète de l’optique de la loi. On s’éloigne de l’idée de la "mort choisie" pour se rapprocher de celle de la "mort subie". Cela se traduit surtout par la suppression de la souffrance psychologique comme type de souffrance pouvant être prise en compte. Cela s’est également senti dans les débats qui ont entouré l’adoption de la loi : les défenseurs du texte insistaient sur le fait qu’il visait à offrir la possibilité aux médecins de soulager des mineurs et leurs familles en leur permettant d’abréger les souffrances des mineurs en fin de vie par l’euthanasie, lorsque aucune autre option n’est envisageable. Sous le regard des partisans de la loi, les opposants sont passés pour des tortionnaires ne rechignant pas à laisser souffrir des enfants. Dans ce contexte, la souffrance — physique, donc — est bien au premier plan. Que la volonté individuelle du mineur soit sujette à un double filtre — celui d’un expert et celui des représentants légaux — confirme sa relégation en arrière-plan.
Ce changement (non-avoué) de philosophie est interpellant et cache en fait de nombreux autres malaises. Évidemment, parler de la mort n’est jamais simple. Parler de la fin de vie d’un enfant en souffrance l’est encore moins. Dès lors, légiférer en la matière ne pouvait qu’être une tâche ardue. Mais si le législateur juge son intervention nécessaire à ce sujet, il se doit de répondre aux problèmes rencontrés sur le terrain de manière cohérente, claire et précise. Ce n’est que de la sorte qu’il peut offrir la sécurité juridique que sont en droit d’attendre patients et professionnels.
À travers l’analyse qui suit, nous allons essayer de comprendre ce qui a motivé cette loi et analyser le dispositif tel qu’imaginé, afin de vérifier s’il répond aux objectifs poursuivis.
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1 Mouton, O., « Marche arrière éthique, toute ? La Belgique reste un modèle », Levif.be, 22 janvier 2014, http://www.levif.be/info/levif-blog/le-midi-du-vif/marche-arriere-ethique-toutela-belgique-reste-un-modele/opinie-4000505924559.htm, consulté le 08/04/2014.
2 Il n’est cependant toujours pas question de « suicide assisté », car l’on reste bien dans le cadre d’une situation médicale sans issue. Il ne suffit pas de « vouloir mourir ».
3 « Jumeaux euthanasiés ensemble à Jette : « Les deux frères étaient très heureux » », Rtl.be, 12 janvier 2013, http://www.rtl.be/info/belgique/societe/972425/jumeaux-ils-decedent-ensemble-par-choix consulté le 08/04/2014 ; « Le plus vieil athlète de Belgique choisit l’euthanasie, champagne à la main », Rtbf.be, 7 janvier 2014, http://www.rtbf.be/info/societe/detail_leplus-vieil-athlete-de-belgique-choisit-l-euthanasie-champagne-a-la-main?id=8171057 consulté le 08/04/2014.
4 « Une fin de vie, un verre de champagne à la main », Lalibre.be, 7 janvier 2014, http://www.lalibre.be/actu/sciences-sante/une-fin-de-vie-un-verre-de-champagne-a-la-main-52cc0bed-35701baedab2d387 consulté le 15/04/2014.