Analyse n°408 de Solène Houzé - avril 2020
Actuellement, la dépendance des sociétés humaines à l’environnement dans lequel elles vivent est au cœur de tous les débats et ce constat ne date certainement pas d’hier. En effet, de Platon à Greta Thunberg, en passant par Diderot 1, les humains ne peuvent pas dire qu’ils n’ont pas été prévenus des conséquences dramatiques du dérèglement climatique ou de la perte importante de biodiversité.
L’année 2019 a d’ailleurs été particulièrement marquée par des catastrophes naturelles imputables directement au réchauffement climatique. Feux (Californie, Australie), inondations (Inde, Argentine, etc.) et tempêtes(Amérique du Nord, Europe, Bangladesh, etc.) ont ravagé divers endroits du globe et ont causé de nombreuses pertes humaines et financières 2. Plus que jamais, l’humain est conscient de sa dépendance à l’environnement qui l’entoure et des répercussions désastreuses de sa destruction.
Nous sommes également conscients de notre responsabilité dans cette destruction. Depuis la Révolution industrielle, les indicateurs virent au rouge, les limites de la planète sont dépassées, diverses espèces sont menacées, les rapports du GIEC sont de plus en plus alarmistes. Bref, notre mode de vie a causé et cause encore la dégradation de notre environnement. Cette rupture des équilibres naturels, due au développement des civilisations modernes, se traduisant par un changement géologique profond, porte le nom d’Anthropocène 3. En clair, l’Anthropocène est une nouvelle ère géologique caractérisée par la modification profonde des couches de la Terre, et ce surtout à cause des activités humaines.
Les interrogations concernant notre mode de vie, la croissance, la privatisation et l’ensemble des logiques néolibérales comme dogme économique et leurs conséquences sociales et environnementales néfastes remontent déjà au début des années septante avec le début des recherches et des politiques de protection de l’environnement qui peuvent être analysées à partir de différentes perspectives. L’angle peut être social, par exemple à partir des questions de justice climatique. Il peut être écologique ou économique. La question peut se retrouver dans les domaines de politiques publiques, de recherche scientifique et même dans le milieu industriel ou commercial. Denis Linckens 4 a ainsi approfondi la question de la protection de la nature sous l’angle juridique. Construire un champ juridique et parler en termes de droits de la nature permettrait-il de la protéger et de répondre aux enjeux sociaux et environnementaux du dérèglement climatique et de l’érosion de la biodiversité ? L’auteur tente par cette approche à la fois juridique et anthropologique de prôner l’éloignement de la logique marchande, thème qui sera présenté dans cette analyse.5
L’objectif est ici de décortiquer cette logique marchande qui utilise le concept des services écosystémiques pour contribuer à la protection de l’environnement et de la nature. En effet, pour la critiquer, il semble important de bien comprendre ce qu’elle implique et à quels enjeux fait face la valorisation monétaire de la nature pour sa protection. Le concept de "services écosystémiques" sera donc explicité et remis dans son contexte historique. Quelques exemples de politiques environnementales ayant eu recours à la valorisation de la nature comme argument décisif seront décrits. En découlera une discussion sur les biais et les enjeux de la valorisation de la nature par les services écosystémiques. Enfin, nous tenterons d’approcher ce concept dans un groupe en éducation permanente travaillant sur la question de la protection de la biodiversité.
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1 A. Viard-Créta, La déforestation évitée – Socio-anthropologie d’un nouvel "or vert", Thèse de doctorat, Tome 1, 2015, p43-47, [en ligne :] https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02051648/document, consulté le 2 janvier 2020.
2 K. Kramer, J. Ware, Counting the cost : 2019 : a year of climate breakdown, ChristianAid, 27 décembre 2019, [en ligne :] https://www.christianaid.org.uk/sites/default/files/2019-12/Counting-the-cost-2019-report-embargoed-27Dec19.pdf, consulté le 2 janvier 2020.
3 "Géologie : qu’est-ce-que l’anthropocène ?", Geo.fr, 27 novembre 2018, [en ligne :] https://www.geo.fr/environnement/geologie-quest-ce-que-lanthropocene-193622, consulté le 2 janvier 2020.
4 Denis Linckens a réalisé deux publications sur les thèmes de l’environnement et la nature pour le CPCP.
5 D. Linckens, "Vers une reconnaissance des droits de la nature ? Le projet de loi Climat belge", Bruxelles : CPCP, Étude n°30, 2019, [en ligne :] http://www.cpcp.be/publications/droits-nature.
Solène Houzé est chercheuse au CPCP. Elle est titulaire d’un master en agroécologie.