Analyse n°320 de Marie-Sarah Delefosse - décembre 2017
"S’en faire pour tout et rien ; Jouer du coude pour garder sa place […] ; Et octobre vient de passer en coup d’vent […]." Ces paroles résonnent en moi, me semblent si justes. Est-ce seulement moi ? Il me suffit d’ouvrir les journaux pour me convaincre du contraire : en temps de rentrée scolaire, une chronique de La Libre nous apprend que beaucoup de parents se demandent comment aider leurs enfants à s’adapter, à résister aux pressions et au stress 2 ; un article, de L’Echo cette fois, m’apprend que 17 % des travailleurs présentent de gros risques de burn-out.3 Enfin, pour son premier numéro, Sociétés en changement interroge : "le travail est-il devenu insoutenable ? Que se passe-il dans les entreprises et les organisations pour que de plus en plus de personnes se consument à cause de leur travail ?" 4 Rythme effréné, pressions, burnout… le stress serait-il devenu le nouveau mal du siècle ?
Tentons d’objectiver cette question dans notre quotidien. Faites l’exercice ! Demandez autour de vous, à vos collègues ou vos proches, à quand remonte leur dernière expérience de stress. Peu d’entre eux mentionneront une situation vécue il y a plus de deux ou trois jours. J’ai fait l’essai avec mes collègues : tous estiment avoir ressenti du stress durant la semaine écoulée. Le "stress" fait donc partie du quotidien. Demandez-leur également la nature de ce stress. Vous constaterez certainement que vous n’aurez pas deux fois la même réponse ! Pour mes collègues, il s’agissait d’embouteillages, d’examens de leurs enfants, de rendez-vous professionnels, de la lecture des médias, d’un examen médical, de l’attente d’une décision importante, etc. Les sources de stress sont multiples. Dans son ouvrage sur le stress, Jean-Benjamin Stora catégorise ces facteurs de stress selon qu’ils sont liés au travail, au management et à l’organisation, aux changements sociétaux ou à la vie personnelle (cf. tableau 1).5 Ces sources peuvent donc être autant matérielles, comme les facteurs de pénibilité du travail ou un accident que sociales, tels que le harcèlement moral ou des difficultés financières ; et touchent tous les aspects de la vie quotidienne : santé, famille, emploi, scolarité, loisirs, etc.
Les médias, les enquêtes 6 et le questionnement de l’entourage nous montrent que le stress est un élément très prégnant de notre quotidien. Mais finalement, sait-on vraiment ce qu’est le stress ? Si vous avez fait l’exercice d’interroger sur la dernière expérience de stress, ne vous a-t-on pas répondu : "qu’entends-tu par stress ? Est-ce que c’est quand on ressent une tension ou bien plutôt quand on expérimente un ‘gros’ stress ?" Dans sa thèse consacrée au sujet, Jean-Pierre Parrocchetti constate d’ailleurs que "le stress a fait l’objet de milliers de publications mais [qu’] aucune définition universelle n’a pu clairement voir le jour" 7. C’est effectivement une notion confuse et complexe. Confuse d’abord, car le stress est une notion très populaire, dont l’usage et le mésusage sont très répandus tant dans le domaine de la médecine que parmi le grand public. Mésusage, ou confusion dit-on car cette notion est employée tant pour définir la source, c’est- à-dire l’agent stressant, que pour désigner les conséquences. Dans les domaines médical et organisationnel, le concept de stress qualifie plus précisément la réaction de l’organisme à un évènement menaçant, la relation entre cet agent stressant et les conséquences qu’il engendre. Employé à tort et à travers, le mot stress porte donc à confusion.
Ce concept de stress est également complexe car il n’appartient pas à un domaine en particulier, la médecine, la biologie, les neurosciences ou la psychologie, mais traverse l’ensemble de ces disciplines. Le stress nécessite une approche globale et interdisciplinaire alliant les visions physiologique et psychologique. Dantzer écrivait "celui qui prétend expliquer comment un individu se comporte en s’attachant uniquement à décrire son psychisme est tout autant dans l’erreur que celui qui prétend qu’il suffit de mesurer son rythme cardiaque ou le taux de ses hormones" 8. Le stress illustre parfaitement cela. Tentons donc de comprendre cette chimère, souvent considérée comme le mal du siècle de nos sociétés occidentales.
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2 N. Vancrayenest, « Cerveau en construction des enfants et ados : attention fragile ! », La-Libre.be, 7 septembre 2017, [en ligne :] http://www.lalibre.be/lifestyle/psycho/cerveauen-construction-des-enfants-et-ados-attention-fragile-59b0f772cd703b659231ebe3, consulté le 21 novembre 2017.
3 N. Bamps, « Le risque de burn-out en forte hausse », L’Echo, 3 octobre 2017.
4 T. Perilleux, P. Vendramin, « Le travail est-il devenu insoutenable ? », Sociétés en changement, I, mars 2017, [en ligne :] https://uclouvain.be/fr/chercher/actualites/le-travailest-il-in-soutenable.html, consulté le 21 novembre 2017.
5 J.-B. Stora, Le stress, Paris : Presse Universitaire de France, « Que Sais-Je ? », 2016. Nous pourrons reprocher à l’auteur l’accent qu’il met sur les sources liées au travail, laissant dans une sous-catégorie l’ensemble des facteurs de stress liés à la vie personnelle et à l’individu. Cela peut éventuellement s’expliquer par la prépondérance actuelle du burn-out professionnel dans les recherches et les médias. Cependant, il nous semble que cette taxonomie relègue ainsi dans une même catégorie les expériences traumatiques telles que le décès d’un proche, le divorce, maladie ou accident personnel et d’autres facteurs tels que la parentalité (on parle d’ailleurs de plus en plus du burn-out parental).
6 Voir par exemple : N. Moreau, T. Lebacq, M. Dujeu, P. De smet, I. Godin, K. Castetbon, « Comportements, bien-être et santé des élèves. Enquête HBSC 2014 en 5e-6e primaire et secondaire en Fédération Wallonie-Bruxelles », Service d’Information Promotion Éducation Santé (SIPES) et Université Libre de Bruxelles, 2017 ; K. De prez, « Burn-out : les travailleurs en fin de trentaine et les travailleurs à temps plein sont les plus exposés », Securex, 3 octobre 2017, [en ligne :] https://press.securex.be/burn-out--les-travailleurs-en-fin-de-trentaine-et-les-travailleurs-a-temps-plein-sont-les-plus-exposes, consulté le 21 novembre 2017.
7 J.-P. Parrocc hetti & J.-L. Pedinielli, Stress, coping et traits de personnalité (névrosisme et lieu de contrôle) chez des sauveteurs et des conseillers de Pôle Emploi, Thèse de doctorat en vue de l’obtention du titre de Docteur en Psychologie, Aix-en-Provence : Aix-Marseille Université, 2012, p. 17.
8 Dantzer, cité par C. Brajou, Interprètes français-langue des signes et stress professionnel, Mémoire professionnel en vue de l’obtention du Master 2 Sciences du Langage, Lille : Université Charles de Gaulle - Lille III, p. 16.
Marie-Sarah Delefosse est titulaire d’un master en sciences psychologiques à orientation « organisation, travail et société ». Elle est directrice générale de Citoyenneté & Participation