Analyse n°403 de Yvonne Mugisha - mars 2020
Le 12 octobre 2019 plus de mille personnes se sont rassemblées pour participer à une action de désobéissance civile à l’initiative d’Extinction Rebellion. Cette dernière avait pour objectif de tenir des assemblées populaires durant vingt-quatre heures, sur la place Royale, afin de discuter des solutions aux problèmes climatiques et environnementaux. Quelques heures après le début de l’action, une centaine de manifestants décident d’entrer dans les jardins du Palais Royal 1 ; situés en zone neutre, où il est interdit de manifester. Ils sont rapidement neutralisés par les forces de l’ordre. Du côté de la place Royale, les rails de tram étant bloqués par les assemblées populaires, la police somme les manifestants de les libérer pour permettre à nouveau la circulation des transports publics. Sans réponse claire de la part des organisateurs, la police commence à évacuer la place en faisant usage de la force. Arrestations administratives en masse, matraques, chiens, usage de spray au poivre, usage de canon à eau sont les différents outils qui ont été employés par les policiers dans le but de mettre fin à cette action. Cette intervention policière a suscité le débat dans les médias et au sein de la société belge. Il parait donc légitime de se demander si les moyens utilisés étaient réellement proportionnés. D’autres manœuvres de dispersion n’étaient-elles pas possibles, plus indiquées
ou plus adaptées ?
L’opération musclée des forces de l’ordre de ce 12 octobre pose question. Bavure policière ? Législation trop laxiste ? Moyens d’action trop excessifs ? Quand on parle de violences policières, nous avons tous à l’esprit des images de policiers habillés en « RoboCop » se ruant sur un groupe de manifestants. Mais celles-ci peuvent prendre des formes beaucoup plus banales. De nombreux témoignages rapportés sur le site Obspol 2 créé par la Ligue des droits de l’homme (LDH) laissent penser que ce type d’agression peut aussi toucher « Monsieur et Madame Tout le monde ». Dans sa chronique de 2017, la LDH considère que la Belgique, suite à sa condamnation dans l’affaire Bouyid par la Cour européenne des droits de l’homme, est maintenant « célèbre pour l’impunité de certain·e·s de ses policier·ère·s »3. L’affaire Bouyid 4 est celle de deux frères, âgés de 17 et 25 ans à l’époque des faits, disant avoir été giflés lors de leur détention au commissariat de Saint-Josse-ten-Noode. Dans cette affaire, la Belgique a été condamnée en 2015 pour une violation de l’article 3 de la CEDH.5 La Cour a estimé qu’il y a eu infliction d’un traitement dégradant mais également que les frères Bouyid n’ont pas bénéficié d’une enquête effective.
Comment de tels comportements peuvent-ils se produire malgré une réglementation assez claire à ce sujet ? Existe-t-il un organe responsable du contrôle des actions des forces de l’ordre ? Quels sont les moyens d’action des personnes se disant victimes de violences policières ? Quelles sont les sanctions applicables et appliquées dans cette matière ? C’est à toutes ces questions que nous allons essayer de répondre.
Cet article n’a en aucun cas vocation à blâmer ou stigmatiser les policiers ou leur profession. Les violences policières restent un phénomène isolé ne reflétant pas la réalité du travail difficile et souvent dangereux qu’effectuent les forces de l’ordre. Bien qu’elles ne concernent qu’une petite partie des fonctionnaires de police, elles suffisent à entacher la profession de policier tout entière et à risquer de créer un sentiment d’insécurité et de crainte de la part des citoyens. En Belgique nous vivons dans un État de droit dans lequel la police est le garant de notre sécurité et de l’application de la loi. Le recours à la force et la contrainte sont inhérents à la mission qui leur est confiée.
Ils en sont aussi les seuls dépositaires légitimes. Ainsi, afin de maintenir notre démocratie, il est important que cet usage [de la force et de la contrainte] soit clairement encadré et contrôlé. L’objectif de cet article est donc d’avoir une meilleure compréhension de ce phénomène, mais également de fournir plus d’outils aux personnes se disant victimes ou témoins de ces abus de pouvoir.
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1 "Loi tendant à prévenir et réprimer les atteintes au libre exercice des pouvoirs souverains établis par la Constitution", Le Moniteur belge, 2 mars 1954, art. 3.
2 Site de l’Observatoire des violences policières – Ligue des droits de l’Homme [en ligne :] http://www.obspol.be/temoignages.php, consulté le 27 novembre 2019.
3 M. Beys, "Après les baffes, l’État belge mérite un bon coup de pied au c…", La Chronique de la ligue des droits de l’Homme, n°180, 2017, p. 5 [en ligne :] http://www.liguedh.be/wp-content/uploads/2017/12/Chronique_LDH_180_rapports-de-police.pdf, consulté le 1er avril 2020.
4 Arrêt Bouyid c. Belgique (Requête n°23380/09), Cour européenne des droits de l’Homme, 28 septembre 2015.
5 CEDH = Convention européenne des droits de l’Homme.